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bon langage l’éloge de cette science. Il n’est pas impossible que dans quelques années nous connaissions, à 10,000 habitans près, la population d’Andrinople.

La ville est bâtie dans une vaste plaine au confluent de trois grands fleuves, la Maritza (l’Hèbre d’Orphée et des anciens), la Tondja et l’Arda. Ces fleuves réunissent presque toutes les eaux du vaste bassin que forment l’Hémus et le Rhodope, hautes montagnes qui décrivent autour de la Roumélie un arc de cercle, et que les Turcs appellent partout le Balkan. On voit que la situation d’Andrlnople est unique dans la province. Aux temps légendaires de la Grèce, c’était là que s’élevait la ville d’Orestias ; les rois thraces y eurent plus tard une capitale ; les Romains y bâtirent Adrianopolis ; dès le XIVe siècle les sultans y établissaient leur résidence, en attendant que Constantinople tombât en leur pouvoir. Andrinople est une suite de grands villages partout arrosés par des eaux vives, perdus dans les platanes, les cyprès et les peupliers. Sauf au centre de la ville, dans la citadelle, qu’on appelle encore d’un nom grec le Castro, les jardins sont plus nombreux que les maisons. L’étranger peut donc tous les jours faire des excursions intéressantes, sans compter les séances au bazar, dont personne ne se lasse en Orient, les visites aux notables, les longues heures passées dans les petits cafés, nombreux sur les bords de la Maritza ; mais l’intérêt qui prime ici tous les autres, c’est de voir de près, s’il est possible, l’administration ottomane. Le vilayet ou province d’Andrinople est, avec celui de Rutchuk, sur le Danube, le premier où la Porte ait mis en pratique les réformes promises par le hatti-houmaïoum du 18 février 1856. Cette grande ville renferme tous les conseils, tous les tribunaux et même les hautes écoles promises par la réforme. Les institutions nouvelles y fonctionnent depuis déjà quelques années, tandis que dans d’autres parties de l’empire on commence à peine à les créer. L’espérance d’étudier le mieux qu’il me serait possible cette administration m’engageait à faire un long séjour à Andrinople malgré mon désir d’être au plus tôt en plein pays bulgare. Il me semblait que le temps passé ici ne serait pas perdu, que par la suite je comprendrais mieux les plaintes des raïas et leur véritable situation.


I.

Le vilayet d’Andrinople a pour limites à l’ouest et au nord le Balkan, au sud la mer Egée, à l’est la mer de Marmara et la Mer-Noire. La superficie en est évaluée à 80,000 kilomètres carrés ; elle est donc à peu près égale à celle de treize de nos départemens ; c’est avec de pareils chiffres qu’il faut compter en Turquie. Les