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lons pas reconnaître que nous n’ayons pas eu raison, mais nous consentons à ce que les arbitres se conduisent comme si nous avions été dans notre tort. Dans la discussion qui eut lieu le 12 juin sur le traité de Washington à la chambre des lords, lord Russell s’éleva avec véhémence contre le caractère rétrospectif de cette nouvelle loi internationale; lord Derby montra l’Angleterre se mettant elle-même sur la sellette et consentant à être jugée pour des actes commis il y a dix ans et qu’alors elle ne trouvait pas coupables; mais il n’en est pas de la loi internationale comme de la loi municipale. Celle-ci ne doit jamais être rétroactive, parce qu’elle se corrige aussi rapidement qu’on le veut, tandis qu’il n’y a point de parlement, de conseil permanent, qui règle les rapports des nations. La loi internationale n’est fondée que sur l’équité. Une nation n’a point rempli ses devoirs envers les autres nations quand elle a violé l’équité, lors même qu’elle a observé la lettre de ses lois municipales. Celles-ci, en ce qui regarde l’étranger, n’ont de valeur qu’autant qu’elles sont une expression fidèle des devoirs de la neutralité. Ces devoirs étaient les mêmes en 1861 qu’en 1871 ; qu’importait à la nation américaine, aux armateurs ruinés de New-York et de Boston, que lord Palmerston ou lord Russell pût maintenir, en invoquant les avis de juges anglais, que personne n’avait violé le foreign enlistment act?

Ce n’est point s’abaisser que de reconnaître une erreur et de chercher à la réparer. On a souvent reproché à l’Angleterre d’adorer le succès, de laisser toujours ses sympathies suivre les courans de la fortune. Lord Russell, en attaquant le traité de Washington, citait une phrase de Henry Drummond. « Il y a deux siècles, disait ce dernier, il y avait un mot qui gouvernait le monde, c’était le mot credo; aujourd’hui il y en a un autre, c’est le mot crédit. » — « Il y a deux siècles, ajoutait lord Russell, nous maintenions notre credo, nous maintenions notre foi protestante; au temps de Jacques II, nous l’avons fait triompher. La destruction de l’Armada espagnole et la bataille de la Boyne confirmaient notre puissance, et le credo national triomphait. Aujourd’hui il ne s’agit plus que de notre crédit, et l’on vient nous dire : Que nous importe l’honneur anglais? que nous importe notre caractère national? Les cours de nos fonds sont élevés, ceux des bons américains sont hauts; qu’importe le reste ? » Une douleur pareille perce dans le langage de lord Carnarvon, de lord Salisbury, l’éloquent chef du parti tory. Il n’est pas mauvais que des voix respectées avertissent les nations qu’il y a quelque chose de plus précieux que les choses matérielles, des trésors plus importans que la richesse et la sécurité; mais ces trésors ne sont pas près d’être épuisés sur le sol libre de la Grande-Bre-