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institutions, dans les traditions de la république américaine. La guerre a affranchi une race sans en enchaîner une autre. Les États-Unis ont nourri quelque ressentiment contre les puissances qui, pendant leurs malheurs, avaient formé contre leur sécurité de mauvais desseins ou laissé éclater une joie perverse; mais ils n’ont point abandonné leur politique de non-intervention, et ils ont réprimé sur leur territoire toutes les infractions commises contre le droit des gens. Ils ont, en un mot, montré autant de sagesse que de force. Il y a sous la passion américaine, qui par momens semble si âpre et si impatiente, un grand fonds de patience, qui tient à une foi sans bornes dans l’avenir, une prudence très avisée, très éclairée, en même temps qu’une sorte d’humanité qui répugne à l’emploi de la violence.

Pour toutes ces raisons, l’Angleterre sentait croître chaque jour le désir de renouer de bonnes relations avec les États-Unis. Lord Granville avait succédé à lord Clarendon; il fit sonder l’opinion des principaux hommes d’état américains, et obtint l’assurance que tous les partis verraient arriver avec plaisir aux États-Unis une ambassade extraordinaire ou une commission chargée de régler les différends entre les deux pays. Il fut convenu entre lui et M. Hamilton Fish, le secrétaire d’état de Washington, que cette commission réglerait la question des pêcheries et généralement toutes les questions qui avaient trait au Canada, en même temps qu’elle s’occuperait des réclamations dites de l’Alabama et en général de toutes celles qui tiraient leur origine de la guerre de la sécession. La commission anglaise fut composée de lord Grey, président actuel du conseil privé, de sir Edward Thornton, ministre d’Angleterre à Washington, de sir John Macdonald, ministre de la justice et attorney-général au Canada, de M. Montagne Bernard, professeur de droit international à l’université d’Oxford. Le président Grant nomma de son côté une commission formée de M. Hamilton Fish, secrétaire d’état, du général Schenk, actuellement ministre des États-Unis en Angleterre, du juge Nelson, de la cour suprême, de M. Hoar, de Massachusetts, un légiste distingué, et de M. Williams, de l’Orégon.

La première réunion des deux commissions eut lieu le 27 février, et le 8 mars seulement on aborda la question de l’Alabama. Les commissaires américains tinrent à peu près ce langage : le peuple américain est tout entier pénétré du sentiment qu’il a été la victime d’une grande injustice; la conduite tenue par l’Angleterre au moment où éclata la guerre de la rébellion a été une cause de ruine pour le commerce des États-Unis; les passions qui se manifestèrent et dans la Grande-Bretagne et dans ses colonies ont excité dans le peuple américain des sentimens qu’il lui était pénible de nourrir