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pouiller en faveur de cette favorite de Constantin : Rome vieillissante avait vu sa parure passer à cette jeune Rome du Bosphore, brillante improvisation du conquérant ; elle avait dû restituer à cette Grèce ressuscitée ce que les Mummius et les Verrès avaient jadis dérobé au monde hellénique en décadence. Sans scrupule, on avait enlevé aux temples païens, aux églises chrétiennes, aux places publiques des villes de province, tout ce qui faisait leur joie et leur orgueil, des statues vénérables par leur antiquité, entourées de glorieux souvenirs ou de merveilleuses légendes. Il y avait là des palladiums par centaines, des génies protecteurs, des âmes de villes enfermées dans le bronze, exilées sur le promenoir, employées toutes vivantes à l’ornement de cette grande et indifférente cité ; il y avait là des statues de divinités qui avaient vu autrefois, lorsqu’elles étaient dans l’ombre de leurs sanctuaires, des provinces entières accourir en pèlerinage, qui avaient fait des miracles, qui avaient vu les offrandes des peuples s’entasser à leurs pieds et des troupes de prêtres les envelopper dans les nuages d’encens, qui avaient été teintes du sang des victimes humaines ou éclaboussées de celui des jeunes Laconiens flagellés sur l’autel, qui avaient fait enfin gronder la foudre sur la tête des Gaulois de Brennus. Elles étaient pourtant là, alignées comme de vulgaires statues, et la foule indifférente n’avait pas l’air de se douter qu’elle coudoyait des dieux !

Plusieurs de ces monumens ont toute une odyssée. Au-dessus de la tribune impériale s’élevaient quatre chevaux en bronze doré. Le caprice d’un autocratôr les avait amenés de Chios à Constantinople, la quatrième croisade les envoya à Venise ; les victoires de Bonaparte les ont installés sur l’arc de triomphe du Carrousel, et nos revers de 1814 les ont restitués à la patrie de Dandolo. — On remarquait une statue de l’impératrice Irène debout sur une colonne au milieu d’un bassin, ailleurs Auguste, apporté de Rome ; Dioclétien, de Nicomédie ; les statues équestres de Gratien, de Valentinien, de Théodose, — bref toute une galerie des souverains. À côté de la louve qui allaitait Romulus et Rémus, l’âne et l’ânier qui avaient présagé à Auguste la victoire d’Actium ; toute l’histoire du monde romain se trouvait là, écrite avec des chefs-d’œuvre de marbre et d’airain. Le peuple se servait aussi du promenoir pour y mettre ses ennemis au pilori : c’est ainsi qu’une sorte de monstre informe qui dévorait des hommes et engendrait des bêtes, pour tout citoyen de Byzance, représentait le tyran Justinien II. L’olympe biblique et l’olympe homérique étaient également représentés dans ce musée du genre humain : à côté d’Hercule et d’Hélène, Adam et Eve. Il y avait des statues qu’on avait mises là « pour faire rire ; »