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poussait-il la condescendance jusqu’à verser de sa triple gueule d’airain le vin, le lait et l’hydromel : on restait persuadé qu’il y avait de la diablerie dans son fait. Sous l’empereur Théophile, le patriarche de Constantinople, qui se piquait de sorcellerie, avait trouvé un moyen ingénieux de débarrasser son maître de trois ennemis redoutables. À minuit, il se rendit à l’hippodrome avec trois hommes armés de marteaux, chacun d’eux leva son marteau sur une des trois têtes du dragon ; le patriarche prononça des formules cabalistiques, les bras retombèrent, mais deux têtes seulement furent brisées du coup. L’autocratôr n’était débarrassé que de deux de ses ennemis ! Plus tard, un autre acte de superstition en sens contraire fit réparer cette mutilation. Un sultan des Turcs, Mahomet II, Mourad IV ou Soliman le Magnifique, — on ne sait pas bien, la chose a dû aussi se produire plusieurs fois, — ne put contenir son zèle pieux à la vue de ce monument de l’idolâtrie, et d’un coup de sa masse d’armes abattit une tête du serpent ; mais, au récit des historiens, un phénomène étrange se produisit. Ce serpent d’airain, comme celui de Moïse, avait la vertu d’éloigner les serpens de Constantinople : lui brisé, ils recommencèrent à pulluler dans la ville. Après les superstitieux, les voleurs se mirent de la partie et réduisirent le trophée des guerres médiques à l’état où l’on peut le voir aujourd’hui. Même de nos jours, raconte M. Byzantios, les Turcs ont la manie, lorsqu’ils voient le malheureux serpent pour la première fois, de lui jeter des pierres.

L’hippodrome de la Rome chrétienne d’Orient avait été construit, comme le circus maximus et tous les hippodromes de l’antiquité, sons l’influence de certaines idées païennes. Aussi avait-il nécessairement deux obélisques, dédiés l’un à la lune, l’autre au soleil. À Byzance comme à Rome, il y avait un Euripe, primitivement consacré à Neptune. Jusqu’au IXe siècle, on put voir sur la spina le monument des dauphins et les œufs des Dioscures, qui rappelaient le souvenir de Castor et Pollux, dieux des gymnastes et des sportsmen. Ces monumens tombèrent non sous les anathèmes de l’église grecque, mais par un tremblement de terre : on se contenta de ne pas les relever. C’est la persistance de ce symbolisme païen, bien plus encore que la frivolité de ces amusemens, qui valut aux théâtres et aux cirques de l’empire, depuis le De spectaculis de Tertullien, tant de diatribes des pères de l’église.


IV.

L’hippodrome, c’était le véritable foyer de la vie publique, telle qu’elle pouvait subsister dans l’empire byzantin. C’est là que se sont passés les plus grands faits de l’histoire byzantine ; c’est là que Jus-