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des encouragemens, — qu’en bonne justice il doit encore partager avec l’entraîneur ; à Constantinople, c’était le cocher que l’on adulait, que l’on fêtait, à qui l’on attribuait les victoires. Cette haute fonction de cocher du cirque, héniochos, ne s’obtenait pas de prime-saut ; il y avait là toute une hiérarchie avec ses grades, ses classes distinctes, son surnumérariat. C’était l’empereur lui-même qui conférait cette dignité et qui ordonnait à ses chambellans d’en délivrer les insignes au candidat ; on lui remettait son brevet signé de l’encre rouge impériale, on lui passait une ceinture autour des reins, on lui posait sur la tête une toque brodée d’argent. Les édits des empereurs accordaient au cocher de nombreux privilèges, l’immunité de certains impôts, l’exemption du fouet et de tous les autres châtimens corporels. De même que la peinture s’est ingéniée chez nous à conserver à la postérité les belles formes de Monarque, de Fille-de-l’Air, de Gladiateur, de même des statues érigées dans l’hippodrome consacraient à l’immortalité les traits des plus illustres automédons. L’engouement allait même si loin que le code théodosien dut interdire l’installation sur les places publiques des statues de cochers à côté des statues des empereurs. Celles de l’hippodrome avaient sur leurs piédestaux des inscriptions en vers où les beaux esprits de Byzance s’épuisaient à inventer d’ingénieuses flatteries. Jamais chez nous cantatrice célèbre, actrice en renom n’a été gâtée du public comme l’ont été à Byzance les Calliopes, les Uranius, les Icarius, les Anatellons, les Olympius, les Épaphrodites. « Anchise fut l’amant de Vénus, Endymion le chéri de Diane ; Porphyrius est le favori de la Victoire ! » Ou bien encore ce quatrain qu’aurait envié Benserade : « quand la Nature eut à la fin des temps enfanté Porphyrius, elle fit un serment, et, de sa bouche qui ne sait pas mentir elle dit : C’est fini, je n’enfanterai plus ; tout ce que j’avais de grâce, j’en ai doté Porphyrius. »

Comment les adulations du peuple et du prince n’auraient-elles pas tourné la tête à ces pauvres diables ? Pour gagner ces victoires qui donnaient une si glorieuse notoriété, tous les moyens leur étaient bons : ils eussent fait un pacte avec le diable ; plusieurs furent convaincus de pratiques de sorcellerie. Le cocher Hilarion fut condamné à mort pour avoir livré son fils à un nécromancien « qui devait lui apprendre l’art mystérieux, défendu par les lois, d’appeler à son aide les esprits méchans. « Tout cocher vaincu avait une tendance naturelle à soupçonner son heureux rival de sorcellerie. Avant la course, on avait soin de fouiller les concurrens, comme dans nos tournois du moyen âge on fouillait les chevaliers pour s’assurer qu’ils n’avaient point de talismans. La « race irritable » des cochers du cirque en venait parfois, sur des soupçons de ce genre, aux coups de couteau ; le concurrent malheureux attendait son vainqueur au