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par année une cotisation et participant à l’élection des dignitaires de la faction ; 2o les cochers, qu’on a pris trop souvent pour la faction elle-même ; 3o la masse de citoyens byzantins qui, sans être inscrits sur la « charte » et sans payer la cotisation, sans jouir d’aucun privilège, prenaient parti cependant pour telle ou telle association, et venaient s’asseoir à l’hippodrome sur certains gradins.

Les autres grandes villes de l’empire avaient, à l’instar de Constantinople, leurs clubs verts ou bleus qui étaient en correspondance avec ceux de la capitale, donnaient comme eux des représentations hippiques dans l’hippodrome de la localité, et se mettaient en insurrection dès qu’ils apprenaient que leurs confrères de Constantinople avaient pris les armes. D’un bout à l’autre de l’empire, il y avait une sorte de franc-maçonnerie vénète ou prasine qui dirigeait tous ses efforts vers le même but. L’empereur qui à Constantinople s’était déclaré pour les vénète s’était aussitôt adoré par les bleus, exécré par les verts d’Alexandrie, d’Antioche, de Nicée, de Thessalonique. Un comte d’Isaurie avait, dans la ville de Tarse, réprimé cruellement une émeute des bleus, leurs collègues de Constantinople demandèrent sa tête à Justinien ; ils ne purent rien obtenir, mais ils le guettèrent à la sortie du palais, et le laissèrent pour mort sur la place. Quand l’empereur parvenait, à force de mesures terribles, à comprimer dans sa capitale l’insolence des factions, « la terreur se propageait dans toutes les villes de l’empire romain. »

Ce qui rendait la puissance des factions encore plus redoutable, c’est que la tolérance des empereurs les avait laissées s’organiser en véritables milices. Elles s’étaient emparées de la garde de la ville, ce qui leur permettait d’y commettre impunément des désordres. La résistance énergique qu’elles étaient capables d’opposer, en cas de sédition, aux soldats exercés, aux vétérans goths ou varangiens de la garde impériale, s’expliquerait mal, si on ne supposait les factieux pourvus d’armes offensives et défensives. Comme nos gardes nationaux à certaines époques, on les convoquait pour des corvées honorables. Ils faisaient escorte à l’empereur dans ses chevauchées à travers la ville ou dans ses pèlerinages aux églises les plus vénérées ; ils formaient la haie sur le passage des processions ou panégyries, lorsque le prince, entouré de sa cour, de son patriarche, de ses évêques, à grand renfort de cierges et de chants d’église, se rendait à Sainte-Sophie ou aux Saints-Apôtres, lieu de sépulture des empereurs byzantins. Ces soldats citoyens avaient, paraît-il, assez mauvaise mine ; l’évêque de Pavie, l’Italo-Germain Luitprand, belliqueux comme tout le clergé barbare de son temps, étant allé en ambassade à Byzance vers le milieu du Xe siècle, n’a pas assez de railleries pour cette piètre milice : il nous représente les factieux formant la haie, avec de mauvaises petites piques, des boucliers