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tholique, sans égards pour les intérêts commerciaux des autres peuples, se compromette vis-à-vis des indigènes par une propagande trop active.

En ce qui concerne la situation relative des prêtres catholiques et des ministres protestans en face de la population chinoise, deux mots d’explication sont nécessaires. Les premiers sont de pauvres gens, dépourvus parfois d’éducation, mais profondément imbus de l’idée du devoir, qui sacrifient famille, patrie et bien-être, font abnégation de leur vie même, vivent avec le bas peuple, s’habillent comme lui, et donnent les plus belles années de leur existence à l’œuvre pénible de la propagande. Détestés par les mandarins, dont ils sapent l’influence, ils sont en général bien accueillis par le vulgaire, auquel ils s’adressent de préférence, et leurs efforts ne restent pas stériles. Les ministres protestans, toujours habillés de noir et cravatés de blanc, n’ont pas les mêmes visées. Agens bien rétribués de riches sociétés bibliques, ils accompagnent les consuls anglais, ils n’ont pas la prétention de les devancer. En revanche, leurs succès sont presque nuls, car ce n’est pas en distribuant des bibles à la douzaine que l’on fait beaucoup de prosélytes.

Soit jalousie, soit crainte réelle, les Anglais disaient depuis longtemps déjà que les actes du clergé catholique, ainsi que l’appui qu’il recevait des consuls français, étaient un grave sujet d’inquiétude pour les autres nations chrétiennes. Ce n’est point que les missionnaires eussent rien à craindre du fanatisme religieux des Chinois, par la bonne raison que ce fanatisme n’existe pas. Les Chinois des classes inférieures n’ont d’autre religion qu’un respect superstitieux pour la mémoire de leurs ancêtres; les lettrés sont bouddhistes, ce qui veut presque dire athées; les bonzes ou prêtres sont ignorans et méprisés, par conséquent ils n’ont aucune influence. La prédication chrétienne ne rencontrerait donc aucun obstacle, si les mandarins ne sentaient que l’enseignement de ces nouvelles doctrines porte atteinte au prestige factice dont ils sont entourés. Ce n’est pas tout : il déplaît aux Anglais comme aux lettrés chinois de voir que la France exerce un patronage bienveillant sur tous les convertis. Au dire des Anglais, qui ne sont en cela que l’écho des mandarins, un chrétien natif qui se prend de querelle avec un voisin non converti invoque la protection des missionnaires; ceux-ci en appellent au consul français, qui intervient en faveur de son prétendu coreligionnaire, si bien qu’un procès entre deux natifs, au lieu d’être simplement porté devant le tribunal indigène, devient une querelle internationale dans laquelle, en vertu de la puissance supérieure des canonnières et des officiers français, le client des missionnaires a toujours raison. Aussi les autorités chi-