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suffisamment indiqué déjà comment, au point de vue matériel, il me paraît possible de préserver sans trop d’exigences notre état militaire ; je n’ai pourtant abordé encore que la moindre partie de mon sujet. La plus importante, personne assurément n’en doute, est celle qui concerne l’organisme vivant de la flotte ; c’est là surtout qu’un plan judicieux de conservation est nécessaire. J’exposerai brièvement celui que j’ai conçu, mais je dois confesser que j’ai dépassé quelquefois mon programme. Bien que le temps ne soit guère aux rêves ambitieux, je n’ai pu me défendre de chercher des perfectionnemens et des améliorations jusque dans les institutions dont je demande avec le plus d’instance le maintien.


V.

La force de toute organisation militaire est dans les cadres. Cette vérité est devenue banale ; il n’est peut-être pas inutile cependant de la rappeler. Si je n’étais certain que l’état-major de la flotte sera respecté, si je pouvais douter du traitement réservé à la classe non moins précieuse des officiers mariniers, je n’aurais pas eu le courage de m’occuper de l’avenir de la marine française, puisque bientôt il n’y aurait plus de marine en France ; le zèle des commissions de finances me cause à cet égard peu d’inquiétude. Je suis moins rassuré du côté des réformateurs : je crains certains projets qui me semblent empreints, je l’avoue, d’une inopportune imprudence. Au nombre de ces projets, je n’hésiterai pas à citer celui qui tendrait à la suppression du vaisseau-école, d’où sont sortis depuis quarante ans presque tous nos officiers. La marine ne doit pas sans doute se flatter d’échapper aux réformes qui deviendraient la conséquence d’une modification quelconque de notre état social, mais il serait assez singulier qu’on choisît pour la soumettre à de périlleuses expériences le moment où son éloge est dans toutes les bouches, et où plus que jamais nous la trouvons en possession de la faveur publique. J’admettrai, si l’on veut, une école d’officiers gratuite ; je ne comprendrais pas qu’on voulût se passer d’école.

Le mode de recrutement de nos équipages, pas plus que le mode d’éducation de nos officiers, n’appelle en ce moment de modifications sérieuses. Le service militaire devenu obligatoire pour tous, la durée de ce service partagée en deux ou trois périodes distinctes, vont soumettre la France entière au régime jusqu’ici exceptionnel sous lequel ont vécu, non pas depuis Colbert, mais depuis les dernières années du gouvernement de juillet, les populations qui se vouaient à l’exploitation de la mer. Si l’inscription maritime, telle que l’ont faite nos derniers règlemens, demeure encore par certains