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avec une régularité qui ne se dément jamais. Quand j’aurai vu nos vaisseaux traverser l’Atlantique en compagnie d’un de nos grands paquebots, je les tiendrai quittes des autres épreuves qu’on leur fait subir. La science de l’ingénieur est devenue de nos jours très complexe ; nous sommes loin de ces temps où les maîtres de hache se transmettaient à peu de frais les faciles secrets d’un art héréditaire. Dans l’ingénieur, le mécanicien aujourd’hui double le constructeur, je devrais dire qu’il le prime, car cette faculté est de beaucoup la plus rare et la plus nécessaire. On peut, grâce à l’étude, devenir constructeur ; il faut naître mécanicien.

L’administration, — qu’on veuille bien le remarquer, — n’est pas en général aussi hostile au progrès qu’on le répète ou qu’on le suppose ; son extrême circonspection, qui l’attarde quelquefois, ne vient que des rigueurs impitoyables de l’opinion publique pour tout ce qui n’est pas du premier coup un succès avéré. Obtenons de l’opinion un peu plus d’indulgence, l’administration prendra moins ombrage des nouveautés ; il faut que l’opinion s’applique à donner, si je puis m’exprimer ainsi, au budget — du courage, au talent qui veut prendre son essor — des ailes. Nous avons plus que jamais besoin de viser à la perfection dans nos constructions navales, car on va certainement nous menacer de réduire le chiffre de nos bâtimens. Le chapitre de la solde est bien peu de chose, si on le compare à celui des approvisionnemens généraux et des salaires d’ouvriers. C’est à la dotation du matériel qu’il faut s’adresser quand on veut obtenir des économies sérieuses ; mais encore faut-il que ces économies soient bien entendues. Il n’est pas si facile de les réaliser qu’on serait tenté de le croire. On ne peut, d’un jour à l’autre, mettre en grève les populations qui vivent du travail que leur procurent nos chantiers. Il est donc sur ce chapitre même des dépenses que l’on peut supprimer ; il en est d’autres sur lesquelles il est dangereux de rien rabattre. Le procédé le plus sûr consiste à ne pas porter la cognée dans la forêt avant d’avoir marqué les arbres qu’on se propose de mettre à terre. En un mot, il ne faut songer aux réductions que lorsqu’on est en mesure d’affirmer le principe sur lequel on entend les régler ; ce principe pour moi n’a jamais été douteux. Chaque fois que l’arsenal et la flotte seront en présence, qu’il faudra nécessairement immoler l’une ou l’autre, l’arsenal, je le déclare, aura tort à mes yeux. Le monument est fatalement destiné, dans ma pensée, à payer la rançon du vaisseau ; il faut que notre orgueil national s’y résigne. Nous déploierons devant l’étranger moins de magnificence ; qu’importe, si nous présentons à l’ennemi des forces qui ne soient pas sensiblement diminuées ? Voilà le résultat auquel il nous faut parvenir. Je crois avoir