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de nos escadres, je demanderai de mon côté qu’on veuille bien se placer un instant en face de l’hypothèse suivante. — Les armées de la France sont de nouveau rangées sur les bords du Rhin, les mers sont en tout sens sillonnées par nos frégates et par nos corvettes ; mais une flotte allemande croise devant nos ports, et nous n’avons pas de flotte à lui opposer. — Quelles seront les suites de cet état de choses ? Toutes nos côtes seront tenues en alarme, tous nos ports demanderont des garnisons, toute notre population maritime sera exposée à tomber aux mains de l’ennemi. C’est le destin fatal des équipages de corsaires de terminer leur carrière aventureuse sur les pontons, et par corsaires j’entends les navires de guerre armés pour la course aussi bien que les écumeurs de mer équipés par la spéculation privée. Dans la guerre de 1778, on a vu nos croiseurs isolés succomber l’un après l’autre le jour où l’Océan a été momentanément abandonné aux escadres anglaises. C’est qu’il faut en effet considérer les escadres comme autant de places fortes mobiles d’où sortent avec une sécurité relative les colonnes volantes qui vont battre le pays aux alentours. Avant d’écumer les mers, je suis d’avis qu’il les faut balayer. Tant que le balai de Tromp restait arboré au grand mât de son vaisseau, les marchands d’Amsterdam et de Flessingue étaient tranquilles. Ils savaient que leurs pertes, s’ils en subissaient, seraient légères. La guerre de course peut être, je ne le nie pas, le seul refuge du plus faible : du moment que la disproportion des forces est par trop grande, il faut bien se disperser pour se rendre moins saisissable ; mais accepter ce programme a priori, sans savoir au juste quel est l’adversaire que le sort nous réserve, ce serait abdiquer follement devant telle puissance navale qui en est encore à naître. Quelle figure ferions-nous dans la Méditerranée par exemple, si nous renoncions à y entretenir des escadres ? Voudrions-nous, n’en ayant pas fait un lac russe, en faire un lac italien ou un lac espagnol ? À moins que la fortune ne nous donne l’Angleterre pour ennemie, nous devons nous proposer de faire sur nier la grande guerre. Contre l’Angleterre même, ce genre d’opérations nous serait commandé le jour où de nouvelles complications viendraient modifier nos alliances. Je me place donc toujours sur ce terrain quand je veux étudier un plan de conservation pour notre flotte.

La flotte de combat qu’avait préparée l’empire était une flotte homogène ; chacun des navires qui la composaient avait à peu près le même cercle d’évolution. Tant que le choc restera pour nos vaisseaux le grand moyen d’action, les combats de mer seront inévitablement des mêlées. C’est, surtout dans les mêlées qu’il importe d’avoir des navires qui décrivent des courbes sensiblement égales.