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Vers le commencement de septembre enfin, c’est-à-dire deux mois et demi après l’événement, la Gazette de Pékin rendit public le rapport de Tseng et de son complice Tchoung-hou. Toute l’affaire résultait, à les en croire, des calomnies auxquelles les jésuites, les lazaristes et les sœurs de charité s’étaient exposés : les deux mandarins avaient la bonté de reconnaître que ces calomnies n’avaient aucun fondement; mais ils excusaient la populace de Tien-tsin de s’y être laissé prendre, et ils voulaient bien convenir que les autorités locales n’avaient pas pris des précautions suffisantes, en raison de quoi les mandarins avaient été justement révoqués de leurs fonctions. C’était se débarrasser à bon compte d’une lourde responsabilité. À cette époque déjà, l’on savait en Chine quels cruels revers la France venait d’éprouver en Europe. Le gouvernement de l’empereur n’ignorait pas que nous ne pouvions songer à lui faire la guerre, et il se flattait que les autres puissances occidentales ne vengeraient pas nos offenses. En effet, M. de Rochechouart, après s’être montré très ferme dès le début, s’était vu dans l’obligation de paraître moins exigeant par crainte d’engager la flotte française dans une lutte impossible. Un peu plus tard, les mandarins parlèrent d’une indemnité pécuniaire. Chez eux, la vie humaine est pour ainsi dire tarifée. Il n’y a pas de grande ville où pour cinq cents francs par tête on ne trouve des malheureux disposés à subir la peine capitale en assurant la fortune de leur famille. Les Chinois offrirent donc une grosse somme en dédommagement des pertes que les missions avaient éprouvées. L’évêque catholique de Pékin répondit, comme on pense, que les missionnaires donnaient leur vie, mais qu’ils ne la vendaient pas ; il refusa même de recevoir la valeur des bâtimens incendiés avant que le gouvernement français se fût déclaré satisfait des réparations accordées. Cependant les principaux acteurs du massacre se retiraient l’un après l’autre de la scène. Le vice-roi de Nankin, Ma, venait d’être assassiné; c’était un protecteur des chrétiens, ou du moins il avait tenu la main avec fermeté à ce que le traité de Tien-tsin fût exécuté de bonne foi dans son gouvernement. Tseng-kou-fan lui succéda; était-ce par disgrâce que ce haut personnage revenait à son ancienne résidence? Il n’est guère probable. Le gouvernement général du Tché-li a l’avantage d’être rapproché de Pékin; mais beaucoup préfèrent celui des deux Kiangs, qui est, par son éloignement, plus indépendant du pouvoir central. Le protégé de Tseng, Chen-kou-jui, s’était remis en route pour préparer sans doute de nouvelles attaques contre les barbares. Quant à Tchoung-hou, il partait pour l’Europe en ambassade extraordinaire: M. Jules Favre l’a reçu en cette qualité le 5 avril dernier. Nous ignorons quel a été le résultat de l’entrevue ;