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cette nouvelle situation. Si l’on ne construisait chaque année un certain nombre de navires, au bout de dix-huit ou vingt ans la flotte n’existerait plus ; encore, pour lui assurer cette durée, faut-il qu’on l’entretienne. Tout budget qui vise à ne pas laisser décroître le matériel ne doit pas seulement prévoir les dépenses qu’exigeront les constructions neuves ; à côté de ce fonds de renouvellement, il doit inscrire un autre fonds spécial destiné à l’entretien. On construirait deux ou trois navires de plus tous les ans, si la marine à flot n’exigeait des soins très coûteux de conservation, des radoubs complets et une foule de menues réparations. On se figurera aisément quel dut être l’embarras du ministre, lorsqu’à la fin de la guerre de Crimée il vit affluer dans nos ports tous ces navires qu’on devait désarmer et qu’on ne pouvait cependant laisser à l’abandon. Alors même qu’elle a cessé de fonctionner, la machine a encore besoin du mécanicien ; seul le mécanicien peut la lubrifier, la graisser, la polir, seul il peut prendre charge de tant de millions qui sommeillent. Le gardien traditionnel qui suffisait aux bâtimens à voiles préserverait mal les organes délicats du navire à vapeur ; un repos trop prolongé rouillerait les articulations de ces appareils ; une main maladroite n’essaierait pas de les mettre en mouvement sans s’exposer à les briser ou à les fausser. La première pensée de l’amiral Hamelin fut de mettre ces trésors sous la garde d’un personnel aussi réduit que possible, suffisant toutefois pour les garantir d’une dépréciation trop rapide. Il substituait ainsi à la position de désarmement une position intermédiaire à laquelle il voulait donner le nom de réserve. C’était en effet une réserve dans toute la force du terme que cette flotte à laquelle on conservait la portion la plus intéressante de ses cadres. Cette flotte n’avait plus qu’à compléter ses équipages, qu’à embarquer ses poudres et ses vivres pour se trouver en mesure de prendre la mer ; mais, quand on en vint à supputer la dépense qu’entraînerait ce mode d’entretien, on recula effrayé. Les ports du nord firent aussi entendre leurs réclamations ; ils représentèrent qu’en voulant maintenir un état de préparation trop avancé, on s’exposait à faire campagne avec un matériel demi-usé qui serait loin de valoir celui qu’on eut gardé à l’abri dans les magasins. Sous le ciel du midi, on n’avait point de semblables inquiétudes ; le port de Toulon n’élevait aucune objection contre la position la disponibilité immédiate. Le ministre prit le meilleur parti. Il partagea la flotte de réserve en autant de catégories qu’il lui en fallait pour pouvoir toujours rencontrer sur ce clavier la note juste, c’est-à-dire la situation qui répondit exactement aux nécessités du moment et aux convenances diverses des ports.