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pas sur son chemin. Il passait à l’ouest de Lissa pendant que l’amiral Desfossés remontait vers le nord et longeait la côte de Dalmatie. Ne croyant pas la crise aussi prochaine, désirant d’ailleurs, avant de s’engager dans des opérations plus sérieuses, s’assurer la possession d’un port de dépôt et de refuge, l’amiral s’était détourné de sa route pour aller s’emparer du port de Lossini. Ce fut là que le rejoignit l’aviso envoyé à sa recherche. La dépêche confiée à ce bâtiment émanait du quartier-général de l’armée française ; elle prescrivait d’attaquer sur-le-champ. L’insurrection vénitienne n’attendait, disait-on, qu’une démonstration de la flotte pour agir ; malheureusement cet ordre si pressant avait été dirigé du quartier-général sur Paris. De Paris, il était venu à Rimini par Livourne ; de Rimini, il avait dû faire le tour de l’Adriatique pour arriver à sa destination. Les cinq jours qu’il avait passés en voguant l’avaient rendu inutile ; au moment où l’amiral Desfossés appareillait de Lossini, résolu à combattre dès le lendemain, un nouveau messager lui apportait la nouvelle de la suspension des hostilités. La paix n’était pas conclue, mais les préliminaires en étaient arrêtés ; il semblait peu probable qu’elle ne succédât pas promptement à l’armistice. On peut juger quel fut le désappointement de l’escadre, et cependant je ne sais trop si l’intérêt du pays ne fut pas mieux servi par cette déception qu’il ne l’eût été par un glorieux effort dont on ne pouvait garantir le succès. C’était la crainte qu’inspirait l’expédition de la flotte, dont l’entrée dans l’Adriatique venait d’être connue, qui avait décidé l’Autriche hésitante à souscrire à la trêve qui lui était offerte. Si le résultat d’une première attaque eût été moins décisif qu’on ne l’espérait en France et qu’on le redoutait à Villafranca, nos ennemis n’auraient pas manqué de reprendre courage, et la guerre eût vraisemblablement continué. Elle aurait pu continuer aussi le jour où l’Autriche n’eût plus eu par la paix les états vénitiens à sauver. Or il fallait la paix à la France abandonnée à cette heure par la Russie, pressée par l’Angleterre, menacée par l’Allemagne, inquiétée par l’esprit révolutionnaire qui gagnait malgré elle toute l’Italie. Les esprits exigeans ont pu trouver cette guerre écourtée, les hommes sages l’ont trouvée d’autant mieux conduite qu’une heureuse inspiration sut la terminer à propos.


II.

La marine qui avait fait la campagne de Crimée était l’héritage d’un autre gouvernement ; celle qui eût été appelée à seconder l’armée d’Italie, si une paix trop prompte ne fût intervenue, pouvait,