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le Tessin franchi, et nos troupes marchaient sur Milan, Ce fut un coup de foudre, jamais la stratégie n’avait eu d’inspiration plus hardie. À partir de ce moment, il fut évident que les événemens allaient se précipiter. Les difficultés n’appartenaient plus à l’ordre matériel ; elles devaient apparaître surtout après la victoire. L’Italie tout entière s’était associée avec trop d’enthousiasme à notre triomphe pour qu’il nous fût permis d’en modérer les conséquences. Ce n’était pas le Milanais que nous avions affranchi, c’était la péninsule. Il nous arrivait devant Venise des émissaires de toutes les villes des légations, les uns ardens, vieillis dans les sociétés secrètes, demandant « à être soldats pour devenir citoyens, » les autres, moins résolus, intimidés encore par l’ascendant séculaire de l’Autriche, très désireux de ne pas ensanglanter la révolution, mais révolutionnaires cependant, et presque au même degré que les adeptes du carbonarisme. Leurs inquiétudes se trahissaient par cette phrase : questi Crovati sono tàn prepotenti. Leur programme était dans ce vœu : il faut chasser l’étranger, con plausi e battimani. L’ambassadeur de France à Rome m’avait mis en garde contre ces démonstrations ; je n’avais d’ailleurs aucun désir de les seconder. Ma mission avait été très nettement définie ; j’entendais n’en pas sortir. Je devais bloquer Venise jusqu’au jour où M. le vice-amiral Desfossés amènerait devant ce port des forces assez considérables pour l’attaquer. On comptait employer, pour arriver sous les quais de la place Saint-Marc, les batteries flottantes et les canonnières qui avaient réduit le fort de Kinburn. Les moyens d’action étant les mêmes, il eût été puéril d’espérer que le succès serait aussi facile, car les deux entreprises ne se ressemblaient guère. J’ai tout lieu de penser que, si les places du fameux quadrilatère eussent arrêté nos troupes sur les bords de l’Adige, Venise et ses lagunes auraient pu arrêter plus longtemps encore nos vaisseaux et notre flotille au fond du golfe. La résistance au contraire s’évanouissait comme par magie le jour où la grande armée autrichienne était forcée de battre en retraite.

L’armement qu’on préparait à Toulon avait demandé plus de temps qu’on ne l’avait prévu. Je fus enfin avisé que l’expédition était prête, qu’elle allait partir et se rallier dans le port d’Antivari. Pendant qu’elle accomplissait cette traversée et qu’arrivée au lieu de rendez-vous elle y renouvelait son approvisionnement de charbon, nos aigles victorieuses ne s’arrêtaient pas ; la bataille de Solferino achevait l’œuvre de Magenta. L’aviso qui stationnait à Rimini apporta devant Venise une dépêche destinée à l’amiral Desfossés ; une heure après, cet aviso faisait route pour Antivari. Non-seulement il n’y trouva plus la flotte, mais il ne la rencontra même