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fonds, et peu s’en fallut que nous ne lui fissions payer cher son audace. Si un seul de nos boulets l’eût atteint, il est probable que je n’aurais jamais fait le voyage de Vera-Cruz, et que la tragédie de Queretaro eût été épargnée à l’histoire.

L’archiduc Maximilien ne se piquait pas, en 1858, d’une bien vive sympathie pour la France. Notre première apparition dans l’Adriatique, l’agitation dont il nous supposait complices, l’avaient indisposé contre nous. Il ne craignit pas de s’en exprimer avec une franchise un peu rude lorsque, passant sur son yacht à Corfou, il y reçut la visite des autorités consulaires. Le futur empereur du Mexique voyait dans la mission que je remplissais à ce moment sur les côtes de la Dalmatie le présage de celle dont je devais être chargé l’année suivante. Cette perspicacité eût fait honneur à son sjns politique, s’il eût été vrai qu’en m’envoyant protéger le Monténégro, le gouvernement français avait déjà la pensée secrète d’affirmer un nouveau droit européen, et de remplacer le vieux principe de l’équilibre territorial par le principe des nationalités. L’idée chevaleresque qui nous conduisit à Raguse était loin, suivant moi, de cacher des vues aussi vastes. Nous venions de sauver l’empire ottoman ; nous ne voulions pas lui permettre de devenir oppresseur à son tour. Ce n’était pas pour appesantir le joug sous lequel gémissaient les populations chrétiennes que nous avions arrêté l’ambition de la Russie. Il ne pouvait nous convenir d’être, au XIXe siècle, le champion arriéré de l’islamisme. Pour légitimer notre victoire, il fallait la rendre féconde. Le premier prix dont le sultan devait payer le secours que nous lui avions prêté, c’était l’émancipation graduelle des provinces qui subissaient encore les injustes rigueurs de la conquête. Tel était le vœu de la France ; telle fut, au lendemain de la paix de Paris, la politique du second empire.

Nous étions cependant à peine rentrés à Toulon, après un séjour de six mois sur la rade de Raguse, que les événemens semblèrent donner raison aux prévisions soupçonneuses de l’archiduc. L’horizon, jusque-là si serein, commençai pour les yeux les moins clairvoyans, à se charger de nuages. Ces nuages, qu’un souffle pacifique avait en partie dissipés, grossirent tout à coup. Une alliance de fa- mille présagea l’alliance de deux peuples. Deux mois plus tard, la glorieuse campagne de 1859 était commencée. Je reçus l’ordre de partir pour l’Adriatique avec deux vaisseaux et une frégate. Le chemin de fer de Trieste à Venise ne se prolongeait alors que jusqu’à Udine ; les renforts, les approvisionnemens, qu’on expédiait à l’armée autrichienne, devaient prendre à Trieste la voie de mer. Six frégates à vapeur et un certain nombre d’avisos étaient affectés à