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ropéennes des mers de Chine, dès que la nouvelle de cet horrible massacre s’y fut répandue. Était-ce avec intention que les émeutiers ne s’étaient attaqués qu’aux missionnaires catholiques et aux Français ? Les émigrans de tous les pays, les négocians aussi bien que les prêtres, n’étaient-ils pas menacés du même sort ? Que l’on juge de l’inquiétude que devaient ressentir les habitans de Shang-haï sans autre protection qu’un bataillon de 500 volontaires. La valeur des marchandises entreposées dans le quartier européen et des bâtimens construits par les résidens est estimée à 500 ou 600 millions de francs ; c’était en vérité une belle proie pour les brigands qui venaient de saccager les missions de Tien-tsin. La France et l’Angleterre entretiennent de nombreux navires de guerre dans ces parages ; mais la station principale est sur les côtes salubres du Japon. Il ne reste sur le littoral de la Chine que quelques canonnières, qui sont une protection insuffisante. Ainsi il n’y a d’ordinaire devant Shang-haï qu’un seul de ces petits bâtimens. Cependant trois semaines après l’événement les amiraux anglais et français étaient à l’ancre dans le Peï-ho avec leurs forces disponibles. M. de Rochechouart, chargé d’affaires de France, s’y était rendu de Pékin ; mais, à supposer que ce diplomate eût osé prendre sur lui la grave responsabilité d’une déclaration de guerre, l’insuffisance des armemens à sa disposition lui commandait une attitude expectante. Le Peï-ho est gelé depuis le mois de novembre jusqu’en mars. Les troupes de débarquement que les amiraux auraient pu mettre à terre étaient assurément trop faibles pour s’y maintenir en l’absence des canonnières. Une attaque de vive force, dirigée contre Tien-tsin ou contre les forts du Takou, en admettant qu’elle eût réussi, aurait eu pour conséquence inévitable l’évacuation des provinces du nord par tous les Européens avant l’hiver. Or les ambassadeurs n’en pouvaient douter, une fois sortis de Pékin de cette façon, ils n’y rentreraient plus qu’avec une armée victorieuse, comme en 1859.

Il paraît au surplus que le gouvernement chinois était lui-même partagé d’avis sur la suite qu’il convenait de donner à cette affaire. Les plus ardens voulaient déclarer franchement la guerre aux étrangers et les expulser de tous les ports ; ils soutenaient que l’armée chinoise, disciplinée par des instructeurs européens, pourvue de fusils européens, était maintenant en état de tenir tête aux barbares. Tseng-kou-fan était l’âme de ce parti. De plus modérés se seraient contentés d’une attaque générale contre les établissemens catholiques, c’est-à-dire contre les protégés du drapeau français ; leur plan était d’expulser chaque nation l’une après l’autre, à commencer par la France, afin d’éviter la coalition des puissances européennes, contre laquelle la Chine aurait peine à lutter avec avantage. Il paraît que le prince Kong n’appuyait ni l’un ni l’autre de