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avaient été rendues impraticables, on dut diriger par Orléans et Cercottes sur Chevilly le convoi, le parc du corps d’armée et l’artillerie de la division qui devaient nous y rejoindre.

Le 20e corps fut en même temps prévenu de ce mouvement.

L’ennemi s’étant naturellement présenté devant nous au jour, comme nous l’avaient fait pressentir ses mouvemens dans la nuit, je dus, avant de me lancer avec mon disponible sur Chevilly, assurer à mes convois une avance assez grande pour qu’ils ne pussent être atteints par la cavalerie prussienne. Dans ces conditions, je laissai l’ennemi prendre minutieusement toutes ses dispositions, ne pouvant, avec 11,000 hommes et 5 batteries, avoir la prétention de faire échec à environ 45,000 hommes et 14 batteries qui étaient devant moi.

J’avais d’ailleurs le devoir de lutter juste le temps utile pour que l’ennemi, devenu plus circonspect, ne nous serrât pas d’assez près pour nous empêcher de nous dérober et d’arriver à temps à l’endroit désigné, suivant les desseins du général en chef qui, seul, avait la responsabilité de l’ensemble des mouvemens.

Je commençai l’attaque vers dix heures et demie et me mis en retraite avec mon infanterie aussitôt que je n’eus plus une roue de rechange pour mes pièces, ce qui ne fut pas long. Je dus même laisser un canon sans roues et un caisson qui sauta au début de l’action; mais le mouvement réussit, et le lendemain matin les 26,000 hommes de la division et la cavalerie du corps d’armée étaient au nouveau poste désigné par le général en chef dans la nuit, après avoir combattu et marché pendant vingt-quatre heures sans repos.

C’est cette division qui fournit plus tard au général Bourbaki, après les désastres d’Orléans, les 10,000 hommes avec lesquels il constitua la réserve de l’armée de l’est.

Quant à la scène dans laquelle le commandant Aube dispose mes paroles de façon à me présenter au public comme un officier-général ignorant et présomptueux, tandis qu’il y remplit, lui, un rôle plein de clairvoyance, voici ce qui arriva.

Comme je devais opérer de concert avec le général Crouzat, je fus le voir; il réunit ses officiers-généraux pour me les présenter. M. Aube, qui servait comme général de brigade auxiliaire dans la 2e division du 20e corps, en prit occasion pour faire sur la situation une sortie des plus inattendues et, je dois dire, des plus démoralisées.

Si on réfléchit à la nature de nos troupes, à leur mauvaise situation matérielle et par suite morale, au peu d’expérience d’un certain nombre parmi les officiers-généraux qui les commandaient, on comprendra l’imprudence et l’inopportunité d’un pareil langage dans la bouche d’un officier du grade de M. Aube, appartenant à la marine, à un corps aussi sérieux et qui a rendu de si réels services.