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s’occuper des pontons, il n’y aurait que moitié mal, et il serait sans doute alors un ministre un peu plus accrédité. Tout ceci veut dire que l’assemblée n’a certes pas toujours tort dans ses défiances, et cependant elle n’a cessé d’observer la plus grande réserve, elle n’a eu recours à aucun de ces procédés par lesquels les parlemens font la vie difficile à un cabinet, elle n’a laissé échapper aucun vote d’impatience ou d’ennui. Que quelques-uns des ministres songent à se retirer et aient remis leur démission au chef du pouvoir exécutif, cela même se passe en dehors des sphères parlementaires. L’assemblée n’y est directement pour rien, et si elle avait à dire son mot, ce n’est pas M. Jules Favre seul, ce n’est même pas peut-être M. Jules Favre le premier qu’elle rendrait à une retraite qu’il a si bien méritée, et que d’autres ont méritée autant que lui. Les ministres qui ont toute sorte de titres à se retirer peuvent se faire illusion, ils peuvent se figurer qu’on les poursuit pour leurs opinions, pour leur passé, pour le rôle qu’ils ont joué au 4 septembre ; non, ils tomberaient, s’ils tombaient, parce qu’ils ne répondent plus aux nécessités d’une situation nouvelle. L’assemblée n’a rien fait pour hâter leur chute, elle a montré à leur égard le désintéressement le plus complet, et elle serait bien plus désintéressée encore, si la petite crise qui se déroule à petit bruit depuis quelques jours à Versailles devait se borner à la retraite de M. Jules Favre.

est vrai, et c’est là précisément un des traits curieux du régime actuel, il est vrai, soit dit sans offenser personne, que les ministres ne comptent guère, et que tout ce qui se fait en politique depuis six mois se noue par-dessus leur tête entre M. Thieis et l’assemblée. Quand M. Thiers veut faire sentir son action, il ne se sert pas d’intermédiaire, il va droit à l’assemblée, et il lui parle ce langage éloquent, sensé, habile, persuasif, qui la laisse toujours charmée. Quand l’assemblée elle-même a une opinion décidée, elle sait bien que c’est au chef du pouvoir exécutif qu’elle doit s’adresser. M. Thiers et l’assemblée, ce sont là les deux vraies forces de la situation faite à la France, et ce qui achève de caractériser le régime actuel, c’est que les relations de ces deux forces, de ces deux pouvoirs si l’on veut, n’ont d’autres règle, d’autre mesure qu’une sagesse commune. On a eu déjà plus d’une fois la pensée de régulariser ou de préciser ces relations en leur assurant du moins une certaine durée, en les mettant à l’abri des instabilités quotidiennes. On semble y revenir aujourd’hui par l’idée d’une proposition qui conférerait à M. Thiers un pouvoir plus permanent, proportionné sans doute à l’existence de l’assemblée elle-même. Ira-t-on jusqu’au bout de ce projet, remis à jour tout à coup ? cette combinaison se lie-t-elle à une modification ministérielle ? a-t-elle été conçue en prévision des vacances prochaines que l’assemblée veut se donner ? Rien n’est assurément plus naturel que de vouloir donner une certaine stabilité à des conditions de gouvernement