Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 94.djvu/670

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Pas une ne dit à l’abeille :
« Je suis cette fois sans parfum ; »
Au papillon qui la réveille :
« Cette fois tu m’es importun. »

Pas une, en ces plaines fatales
Où tomba plus d’un pauvre enfant,
N’a, par pudeur, de ses pétales
Assombri l’éclat triomphant.

De notre deuil tissant leur gloire,
Elles ne nous témoignent rien,
Car les fleurs n’ont pas de mémoire,
Nouvelles dans un monde ancien.

Ô fleurs, de vos tuniques neuves
Refermez tristement les plis,
Ne vous sentez-vous pas les veuves
Des jeunes cœurs ensevelis ?

À nos malheurs indifférentes
Vous vous étalez sans remords :
Fleurs de France, un peu nos parentes,
Vous devriez pleurer nos morts.

Sully-Prudhomme.