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dissensions politiques ne peut lutter avec succès contre un état de force égale, où les mêmes divisions n’existent pas. D’abord cette nation ne dispose jamais de toutes ses ressources, car le gouvernement doit en employer une partie à comprimer ses adversaires. En second lieu, elle ne peut perdre une bataille sans risquer une révolution en face de l’ennemi, ce qui, jetant partout le trouble, désorganise nécessairement la défense. Napoléon III vaincu ne pouvait rentrer à Paris : c’était la fin de la dynastie. De là cette expédition de Sedan, si étonnamment inepte qu’en Europe on ne pouvait y croire. Supposons au contraire une victoire de la France en avant du Rhin. Dans les premiers huit jours, la Prusse s’y attendait, car il lui fallait quinze jours pour mobiliser son armée. Y aurait-il eu une révolution en Allemagne? Loin de là, la nation entière se serait serrée autour de son chef. Ce n’est pas à Berlin, c’est à Kœnigsberg qu’il aurait fallu conquérir la paix, et le roi aurait pu la signer sans perdre la couronne. Entre deux souverains dont l’un ne peut subir un revers sans compromettre sa dynastie et dont l’autre peut compter sur l’appui de ses sujets dans le plus extrême malheur, les chances ne sont pas égales. A génie militaire de même force, le second fera mieux la guerre que le premier. Voyez Frédéric II pendant la guerre de sept ans. Vers la fin, il perd bataille sur bataille, son royaume est envahi, sa capitale prise; néanmoins il fait une paix honorable et garde la Silésie : il n’avait rien à craindre des factions. En 1813, Napoléon sacrifie ses armées et ne sait point accepter la paix avantageuse qu’on lui offre : il ne pouvait rentrer dans Paris avec un prestige diminué. Un pays dont la forme de gouvernement a pour adversaire un parti puissant, ou dont l’ordre social est troublé par des luttes de classe, n’est pas en mesure de mener à bien une grande guerre. La révolution française n’a vaincu que grâce à l’extrême mollesse et aux divisions des souverains étrangers. Si la France rétablit la monarchie, elle sera toujours en ce point inférieure à la Prusse, car la Prusse est un pays monarchique, où la maison royale, populaire par les services rendus, peut longtemps encore compter sur l’appui de tous. La France au contraire a tellement perdu le sentiment monarchique, — la « loyauté, » comme disent les Anglais, — que les légitimistes même ne le connaissent plus. La république peut lui rendre la force en rétablissant l’accord de tous.

C’est pour un pays un avantage très grand d’avoir conservé une dynastie ancienne que le respect environne, mais à qui on a enlevé toute puissance de nuire, comme en Angleterre. C’est un avantage principalement pour l’avancement des classes populaires, but final que poursuivent les républicains. Voici comment. République et monarchie constitutionnelle se valent à peu près, et tout homme