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européen, il ne m’appartient pas d’exprimer une opinion sur les revendications que la France peut tenter un jour; mais ce que l’on peut dire, c’est que ceux qui en ce moment allument dans les cœurs la soif de la revanche font le plus grand mal à leur pays, car ils rendent presque impossible la tâche du gouvernement, qui aura à reconstituer, par un travail sérieux et nécessairement très lent, les forces nationales, et ils le poussent à recommencer de nouveau la politique insensée de 1870. Pour reconquérir la suprématie militaire, il ne suffit pas, comme les esprits superficiels le supposent, de perfectionner des mitrailleuses, de substituer à canon d’acier au canon de bronze ou l’obus percutant à l’obus à mèche; il ne suffit même pas d’introduire le service obligatoire pour tous ou d’étudier les mouvemens tournans. C’est la discipline, le ressort moral, l’instruction dans tous les rangs, les secrets de la haute science militaire, qu’il s’agit d’introduire partout, et c’est là une œuvre qui demande de la réflexion et du temps. Or si, pendant que le gouvernement y consacre tous ses soins, le public s’impatiente de ces lenteurs; si l’opposition, flattant les ardeurs de vengeance du peuple, s’en fait une arme pour renverser le pouvoir, est-il un souverain qui puisse résister à des attaques de ce genre? On a reproché à Louis-Philippe, sous le nom de paix à tout prix, la politique sensée que la France suivait alors et qu’elle n’aurait jamais dû abandonner; l’opposition radicale, aveuglément ou méchamment belliqueuse, a miné le trône en réveillant ces instincts guerriers et ce besoin d’agir au dehors que l’empire avait inoculé à la nation. Or, si on a pu faire une arme de démolition de l’affaire Pritchard et du droit de visite, quand il s’agissait d’une querelle avec l’Angleterre, quel cri de guerre irrésistible l’opposition antidynastique ne pourrait-elle pas élever contre un roi qui, restant sourd aux appels d’une province arrachée à la France, semblerait oublier le devoir de relever l’honneur national ! On a presque renversé le trône en invoquant le nom de la Pologne ; comment arrêter une révolution qui prendrait pour mot d’ordre l’Alsace et la Lorraine? La république seule est assez forte pour imposer la patience et pour résister à une opposition semblable à celle qui a mis en péril l’établissement de juillet depuis sa fondation jusqu’au jour de sa chute.

La monarchie constitutionnelle, quand elle est pratiquée comme elle l’a été en Angleterre sous la reine Victoria, en Belgique sous le roi Léopold Ier et son successeur, donne au pays le gouvernement de lui-même, et garantit la liberté mieux que toute autre forme de gouvernement; mais ce régime excellent exige de la part du souverain ou une indifférence complète ou un tact supérieur. Si le roi est indifférent et ne s’occupe que de ses plaisirs, c’est le premier