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dogme ne suffit pas, il est vrai; mais si on accepte les devoirs, si on se soumet aux charges, si on réalise en un mot toutes les conditions qu’elle réclame, on parvient à la fonder. Ainsi réconcilier l’opinion publique avec une certaine forme de gouvernement, c’est supprimer l’un des principaux obstacles qui s’opposent à son établissement. « Quand la plupart des gens instruits, dit Stuart Mill, peuvent être amenés à reconnaître un arrangement social ou une institution politique comme salutaire, et une autre comme mauvaise, l’une comme désirable, l’autre comme condamnable, on a fait beaucoup pour donner à l’une et retirer à l’autre cette prépondérance de force sociale qui la fait vivre. » En somme, le législateur ne parviendra pas à établir la constitution qu’il juge la meilleure, si les conditions qui peuvent la rendre viable n’existent pas; mais ces conditions, il n’est pas impossible de les faire naître. Il est donc plus nécessaire de déterminer quelles sont ces conditions que d’apprécier le mérite relatif des différentes formes de gouvernement. Cependant, comme les peuples de nos jours sont fréquemment obligés à faire un choix entre ces diverses formes, il faut bien étudier les avantages ou les inconvéniens que chacune d’elles présente. Nous verrons ensuite ce qu’il faut pour les faire durer.


I.

Le despotisme, comme la mort, se subit, on ne le choisit pas; nous n’avons donc à nous occuper que des gouvernemens libres, qui sont la monarchie représentative et la république. Les meilleurs auteurs récens qui ont écrit sur la politique ne se sont pas arrêtés à examiner la valeur relative de ces deux formes de gouvernement, tant ils y voyaient peu de différence. Comme on l’a dit, la monarchie constitutionnelle n’est qu’une république avec un président héréditaire; cependant cette seule différence n’est pas sans avoir certaines conséquences que nous essaierons de démêler.

Cette question a été peu élucidée, parce qu’elle a été traitée ordinairement avec plus de passion que de réflexion, et plus de parti-pris que de véritable esprit scientifique. La science politique est la moins avancée de toutes. Cela vient de ce qu’en cette matière il est très difficile de tirer des conséquences de l’observation des faits, les faits politiques pouvant être le résultat de plusieurs causes diverses, race, climat, religion ou situation géographique. En outre il est presque impossible que l’observateur politique se trouve dans cet état d’impartialité absolue, j’allais presque dire d’indifférence supérieure, qu’exige l’étude scientifique. Les convictions, les espérances, les préjugés nationaux, les habitudes, le régime dominant,