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les calculs et les chiffres qu’il fallait en dégager, il était dit : « Les expériences faites ont prouvé que les canons se chargeant par la culasse, fabriqués en acier fondu par M. Krupp, possèdent une très grande justesse de tir, — qu’ils agissent d’une manière suffisante contre les armures, qu’ils résistent à 425 coups, après quoi ils restent parfaitement intacts. En raison de ces expériences faites, la commission par ordre suprême pour l’exécution de la fabrication des canons applicables aux forteresses et à la marine a reconnu le canon de 218 millimètres se chargeant par la culasse parfaitement propre à l’armement des batteries de côtes ; elle a résolu de l’introduire dès à présent et de transformer à cet effet tous les canons de 218 millimètres, non-seulement ceux qui existent ici, mais encore ceux que M. Krupp n’a pas encore envoyés, en canons se chargeant par la culasse. » Naturellement ces conclusions, soumises à l’empereur en 1867, prirent la forme de prescriptions administratives qui régissent encore la matière.

Essen, vers le même temps, ralliait à ses procédés de fabrication des cliens encore plus difficiles, des constructeurs comme Whitworth et Blakely, surtout Armstrong. Ce dernier lui commanda même d’un seul trait de plume cent douze pièces de canon. De la part d’un des maîtres de l’art, c’était presque de la condescendance, c’aurait dû être en outre un exemple à imiter. Il ne dépendit pas de M. Krupp que la France ne s’y laissât entraîner, et c’est un chapitre de plus à l’histoire de nos déceptions administratives. On était en 1867, l’exposition universelle avait attiré à Paris, avec la foule des curieux, des chefs ou des représentans des grandes maisons de construction, décidés à y nouer quelques affaires. — L’occasion était bonne, on avait sous les yeux des échantillons, des modèles, des petits ateliers d’essai où l’on pouvait à volonté composer ou décomposer les organes des machines. Le chargé de pouvoirs de M. Krupp s’adressa au ministre de la guerre, et lui fit une offre pour un certain nombre de canons, en donnant tous les renseignemens nécessaires sur la nature des pièces et les conditions de vente. Son offre faite, il attendit une réponse, elle ne vint pas ; il insista, on lui répondit que le ministre l’avait renvoyée au comité spécial de qui l’affaire dépendait. En homme d’esprit, il comprit ce qu’administrativement signifiait ce langage, il n’insista plus.

Il eut tort, l’affaire suivit son cours ; seulement elle n’aboutit pas autrement. Tout dossier, dût-il retomber au néant, suit en France une marche régulière. On nomme un rapporteur qui l’étudie très consciencieusement, et à un jour donné, six mois, un an après le dépôt, fournit des conclusions. Dans des cas semblables, ces conclusions sont invariablement les mêmes. Ces canons proposés, va-t-on dire, sont complètement défectueux, ils ne rempliraient en