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sous la garde d’un brevet, ou dans le domaine public ; les produits d’Essen sont dans ce dernier cas, les copie qui veut à ses risques et périls. M. Krupp n’a pas même les vanités de l’inventeur ; il fait volontiers de ses forges le siège d’expériences où il agit sur d’autres plans, sur d’autres calculs que les siens. S’il a des préférences, il ne les montre qu’à bon escient ; il s’efface devant les gens qui savent, comme aussi devant les gens qui s’entêtent. Dans ces conditions, les responsabilités ne sont que relatives. Il y a là des officiers d’artillerie, des ingénieurs en chef qui ont dressé les épures ; la tâche de M. Krupp est de donner à ces épures un corps, une forme, une façon, qui rendent la pièce propre au service. Le canon se chargera par la bouche ou par la culasse, il sera à âme lisse ou rayée, peu importe, c’est l’affaire de ceux qui ont fait la commande ; mais M. Krupp n’en suit pas moins jusqu’au bout la pièce qui sera sortie de ses forges, et quand elle ira où nécessairement il faut toujours qu’elle aille, au polygone, il la jugera. Il saura ce qu’elle a de bon, ce qu’elle a de défectueux, et son éducation se fera par ces observations comparées. C’est ainsi, un peu aux dépens d’autrui, un peu à ses propres dépens, qu’il a pu avoir des modèles à lui et portant son nom.

Parmi ces modèles, il est impossible d’oublier le canon qui fit quelque bruit en 1867 à l’exposition de Paris. Ce n’était qu’un tour de force qui ne semble pas, même pour les batteries du dernier siège, avoir été renouvelé. Ce canon lançait un boulet plein de 500 kilogrammes ; le public a vu ce colosse, on se souvient de ses proportions : il avait fallu le renforcer avec des frettes et prendre les tourillons non dans le gros de la pièce, mais à une forte bague qui l’entourait. Tout y était donc pour ainsi dire hors de nature. Le canon ordinaire du siège, le vrai canon, était plus maniable, et c’est sur lui que, pour les gros calibres, on pouvait mieux voir le jeu du chargement par la culasse. Le procédé est des plus simples. La culasse de la pièce est entaillée d’un canal dans lequel un verrou qui forme châssis se meut transversalement à l’axe du canon. Ce verrou est d’une manœuvre facile, et lorsqu’il est tiré au dehors, on peut introduire le boulet dans l’âme par la partie postérieure de la culasse ; une fois le boulet posé, on repousse le châssis, un système de fermeture trop compliqué pour être décrit empêche l’échappement des gaz. De ces pièces ainsi chargées s’échappent des boulets massifs ou creux de forme cylindrique, et munis extérieurement de saillies annulaires destinées à retenir une enveloppe ou chemise de plomb qui fait corps avec le projectile : on donne par ce moyen une grande tension à la course ou trajectoire que parcourt le boulet à la sortie du canon ; en d’autres termes, on vise plus loin et plus juste, et la force de pénétration du projectile est