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on ose citer le chiffre, l’accroissement de production de la fabrique d’acier fondu a été régulièrement d’un tiers tous les ans, excepté en 1848 : en 1865, la production a doublé ; il est à croire que dans ces dernières années la proportion a été plus considérable encore. Pour l’ensemble du travail, M. Samuelson citait en 1868 60,000 tonnes d’acier fondu, M. Turgan en 1865 28 millions de kilogrammes (28,000 tonnes), représentant une valeur de 35 millions de francs ; en bâtimens et en machines l’usine a déjà absorbé plus de 50 millions de francs. Quant à la valeur effective, M. Krupp n’a pas à s’en occuper ; on a vu qu’il en est seul propriétaire.

Dans les prix de vente, il y a beaucoup d’arbitraire. Les articles les plus réguliers, comme les rails, ne coûtent que 50 centimes par kilogramme ou cinq cents francs par tonne ; mais ici l’acier fondu rencontre la concurrence d’une autre découverte, l’acier Bessemer, qui fournit des produits moins sûrs, mais de moitié moins chers. Les bandages de roues, qui exigent un plus grand degré de résistance et auxquels l’acier Bessemer ne peut pas régulièrement suffire, coûtent à Essen 1,150 francs la tonne. Au-dessus, il n’y a guère que quelques cylindres pour les lamineurs d’or et d’argent, les estampeurs de maillechort, dont le prix est illimité, et aussi toutes les pièces qui concernent l’artillerie ; des boulets qui valent 400 francs les 100 kilos, et enfin le canon, dont le prix s’élève jusqu’à 9 francs le kilogramme ou 9,000 francs la tonne. C’est que la perte est considérable : deux tiers du poids du lingot primitif, quelquefois plus ; en outre le travail mécanique demande des outils, des hommes, des moyens de manœuvre, une installation fort chère et, pour les gros calibres, une stagnation de capital qui souvent dépasse une année. Ce sera l’objet d’un examen à part. Tout ce qui précède a eu pour sujet principal les services civils. On a vu Essen y prendre résolument sa place, y marquer son empreinte dans tout ce qui touche les grands appareils de locomotion ; il nous reste à fixer, dans un examen rapide, ce que cette usine a fait pour les agens de destruction et pour les services de guerre.


III.

Le canon Krupp, comme on le nomme, aura laissé dans la population de Paris une impression qu’Essen ne parviendra pas à effacer. De longtemps on n’y voudra voir qu’une fabrique d’instrumens de dévastation sous la main et aux ordres du roi de Prusse. Rien n’est moins fondé que ce jugement. Essen est demeurée dans les arts de la guerre ce qu’elle est dans les arts de la paix, un terrain neutre ouvert à tous les cliens, recevant les commandes de toute main sans