les offres devinrent telles qu’il fallut s’inscrire pour être admis. Vingt bailleurs pour un se présentaient au fur et à mesure des remboursemens, comme cela se voit pour les dépôts en usage dans la fabrique lyonnaise. Essen échappait ainsi aux servitudes inséparables d’une association de capitaux dont le moindre écueil est, à raison de la dispersion des titres, de n’intéresser personne à force d’intéresser tout le monde, et de n’être pour les porteurs qu’une propriété de passage. M. Krupp n’eût pas vu sans rougir Essen en butte à ces spéculations et livrée au marché des valeurs. C’était son œuvre, il voulait qu’elle restât forte, à l’abri de tout contact énervant, et ressentait pour elle les délicatesses de la paternité ; il entendait surtout la conduire à sa guise, et pour cela en éloigna la pire espèce d’embaucheurs, les manieurs d’argent. En dehors d’eux, malgré eux, il eut tous les millions dont il avait besoin, sans qu’il lui en coûtât un seul de ses droits, et ce ne fut pas son moindre tour de force.
Il eut autant de bonheur pour l’autre point d’appui qu’il cherchait : les débouchés. Ce n’était pas non plus une petite besogne. Malgré la bonté de ses produits, l’usine d’Essen a contre elle l’éloignement où elle se trouve de plusieurs grands marchés de l’Europe. Cantonnée dans un coin de l’Allemagne du nord, elle n’est sur le chemin d’aucune des grandes puissances centrales ou méridionales. Sauf la Prusse, elle n’a point de cliens à ses portes, et bon gré mal gré force lui est de les aller trouver au loin. En outre la recherche du débouché n’est pas des plus simples : il y a là, même pour des objets qui ne le comportent guère, des vogues, des engouemens qu’il faut prévoir, saisir à temps pour ne pas faire fausse route ; il y a aussi des besoins d’urgence qui veulent être satisfaits avant tous les autres, et qui donneront de l’emploi à tous les ateliers montés à leur intention. Ce sera tantôt les chemins de fer, tantôt les bâtimens à cuirasses, plus souvent les grosses œuvres des machines marines ou les grands appareils hydrauliques. Est-on enfin fixé sur l’objet, viennent les détails. Que de plans, que d’épures il y aura à échanger avant d’être d’accord sur les organes définitifs d’une machine, surtout quand le modèle en est mis au chantier pour la première fois !
Essen n’est restée au-dessous d’aucune de ces difficultés. Il est peu de grosses pièces, on peut dire dans tous les genres, qui n’y aient été exécutées : autant d’essais, autant de succès. L’acier fondu n’a failli à aucune des destinations qu’on lui a données. Cher, il l’a été quelquefois, il l’est encore souvent, jamais il n’a été défectueux. On ne peut pas toujours l’employer faute de convenance dans les prix ; quand on l’emploie, on trouve presque toujours des compensations à la cherté dans les services qu’on en tire. Dans bien