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sait pas devancer. Je le répète, tout le secret de M. Krupp était là.

Où l’on s’en assure mieux, c’est quand on le suit dans ses travaux sur la fonte de l’acier. Qu’il y ait eu, dans le cours des essais, quelques amalgames de son invention, on doit le croire ; mais à coup sûr ce qui domine, c’est une suite de préparations bien faites, obstinément reprises et studieusement observées. Aussi cet acier a-t-il gardé son nom. Ce n’est plus ni l’acier de Sheffield, ni l’acier Bessemer ; c’est l’acier Krupp, dont le point de départ est un bon choix et un bon coupage dans les minerais qui fournissent la fonte. Soumise dans le four à puddler à une décarburation méthodique, cette fonte passe à diverses fois sous les marteaux et les laminoirs qui en expriment le laitier et en rapprochent les molécules. C’est alors de l’acier puddlé sous la forme de grosses barres rondes découpées à chaud par des cisailles, ou de longues verges carrées, découpées à froid en très petits morceaux. Pour créer l’acier fondu, il suffit d’ajouter à ces morceaux d’acier puddlé dans les creusets où on les dépose des morceaux d’un fer spécial, qui prend à l’acier puddlé un excès de carbone et se carbure lui-même par conséquent. Le fer, infusible quand il est seul, se fond dans l’acier et s’y mêle intimement. Une fois remplis d’acier et de fer à fondre, les creusets sont rangés sur les grilles de fours maçonnés en briques réfractaires, où la fusion a lieu. Ce qui en sort est l’acier fondu, qui désormais a sa place marquée dans l’industrie et dans la guerre. L’objet en vaut la peine, insistons sur quelques détails.

Il n’en est aucun qui n’ait été le produit de longues recherches. Les fours, par exemple, où s’opère la fusion des creusets ont été plusieurs fois reconstruits avant d’atteindre un degré de chaleur compatible avec la nature de leurs matériaux ; même aujourd’hui les meilleures briques d’Écosse sont vitrifiées et attaquées par les températures qu’exige la fonte de l’acier. Quant à la fabrication des creusets, elle compose tout un art et des plus méticuleux ; il y entre une proportion réglée de débris d’anciens creusets, de morceaux de briques, diverses terres réfractaires et de la plombagine. Tous ces débris, pierres ou terres, passés entre des cylindres, sont broyés ensuite sous des roues qui les réduisent en farine, puis, mélangés dans des bacs avec de la plombagine, deviennent une pâte, et dans des moules mécaniques calculés avec soin se changent en creusets d’une précision constante. Cette condition est de rigueur : elle prévient ou réduit la casse, cause de préjudices et d’accidens, procure un arrimage commode, obvie aux encombremens. Pour M. Krupp, cet approvisionnement de creusets n’est pas en effet une petite affaire. Ses séchoirs en logent 100,000 en moyenne, qui ne serviront qu’une fois, et qui, endommagés ou non dans une première coulée, sont brisés pour servir à en reconstruire de nou-