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province a son budget spécial, où figurent en recettes les produits des douanes et d’autres taxes, et en dépenses le salaire des mandarins, la solde des troupes. Le trésor impérial ne reçoit que l’excédant des recettes, quand toutefois il y a un excédant. Les vice-rois, gouverneurs et autres fonctionnaires provinciaux ont un intérêt personnel à conserver l’état des choses existant, parce que leurs émolumens se composent presque en entier des remises que l’usage ou la loi leur concède sur les recettes locales. Le gouverneur-général de Nankin reçoit du trésor 150 taëls par an, plus 70 taëls pour sa provision de riz ; mais les bénéfices plus ou moins licites de son emploi lui rapportent année moyenne 18,000 taëls. Les trésoriers, les agens des douanes, les magistrats eux-mêmes s’enrichissent de salaires éventuels. Si le gouvernement impérial s’avisait d’en tarir la source, il susciterait d’unanimes protestations, et, ce qui est pis, on peut compter qu’il ne serait pas obéi. L’abolition des douanes intérieures ne serait pas moins que le bouleversement financier du Céleste-Empire.

Enfin sir Rutherford Alcock obtint du gouvernement chinois les conditions suivantes, que l’on ne peut guère appeler des concessions : les marchandises appartenant à des Européens devaient être exemptes des taxes locales moyennant une surtaxe de 50 pour 100, qu’elles paieraient à la douane frontière. Le tarif était remanié; surélevés en ce qui concerne les soies à l’exportation et l’opium à l’importation, les droits étaient réduits pour les épices et pour l’étain, et annulés pour la houille et le guano. Les étrangers recevaient l’autorisation de naviguer sur les eaux intérieures des fleuves et des lacs, à la condition de n’employer que les bateaux indigènes mus à la voile ou à la rame ; les bateaux à vapeur étaient donc encore exclus ; toutefois les Chinois promettaient d’instituer un service de remorqueurs aux passages difficiles. L’on ouvrait un nouveau port au commerce européen et l’on parlait de tenter l’exploitation des mines de houille avec l’aide d’ingénieurs et d’ouvriers anglais. Quant aux chemins de fer et aux télégraphes électriques que la colonie réclamait depuis longtemps la permission d’établir, le nouveau traité n’en disait mot. Les ministres de l’empereur avaient déclaré qu’ils ne s’opposaient pas à ce qu’un câble sous-marin fût immergé dans les eaux de la Chine, mais qu’ils ne permettraient jamais que l’extrémité de ce câble fût amenée à terre.

Le gouvernement de Pékin était en vérité bien mal inspiré par des défiances traditionnelles contre le génie européen : une administration centralisée à l’excès n’a pas de serviteurs plus utiles que la vapeur et l’électricité. Avec les chemins de fer et les télégraphes, le souverain qui règne à Pékin tiendrait en respect les vice-rois qui