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rechercher les origines, à suivre le patient effort qui l’a conduit au degré de puissance dont nous avons été témoins. L’histoire de ce canon sera en même temps celle de l’usine d’où il est sorti et de l’homme ingénieux qui a fondé cette usine ; nous y apprendrons une fois de plus à moins croire en nous-mêmes et à faire plus de cas de ce qui se passe hors de chez nous.


I.

Sur la rive droite du Rhin, non loin de Dusseldorf et au confluent de la Ruhr, existe une ville, propriété d’abbesses au siècle dernier, aujourd’hui domaine de forgerons, et qui a changé de maîtres sans que sa fortune en souffrît. C’est Essen, qui de quelques milliers d’âmes est arrivée à cinquante mille dans le cours d’un quart de siècle. Tout l’a servie pour cela, le sol sur lequel elle est assise, les bras que ce sol nourrit. Essen est en effet en pleine Westphalie, sur l’un des bassins houillers les plus récemment explorés de l’Europe continentale et où les couches de houille, comme dans les grandes formations, reposant sur le grès à meule, sont à stratification parallèle. Pour faire exploitable, on n’a que des sondages incomplets ; tout au plus sait-on que sur le pied de l’extraction actuelle (10 millions de tonnes par an) quarante siècles de travail n’épuiseraient pas les gîtes. La houille est d’ailleurs facile à rencontrer et à exploiter : on l’atteint entre 100 et 200 mètres par couches de 2 à 3 mètres, en qualité excellente et dans toutes les variétés d’emploi, riche, grasse ou sèche, à flamme longue ou courte. Par surcroît, elle est accompagnée de minerais de fer qui fourniraient au besoin des fontes marchandes, si dans le voisinage, à Nassau, à Siegen, à Sayn près de Neuwied, on n’avait, pour produire des fontes supérieures, d’abondans minerais spéculaires. Voilà donc un site de tout point favorisé et où l’industrie a tout sous sa main : combustible, fondans, terres et roches métallifères, comme aussi une légion de clientes et de tributaires dans des villes comme Elberfeld, Barmen, Duisbourg, Mulheim, Solingen, Oberhausen, qui comptent de quarante à cinquante mille âmes dans les meilleures conditions d’activité.

Ce n’est pas tout. Si bien pourvue en produits naturels, Essen ne l’est pas moins en moyens de circulation. À cheval sur la route royale de Coblentz à Minden, elle est en outre traverser ; par un réseau de chemins de fer qui approvisionnent la vaste usine dans laquelle le vieux bourg abbatial s’est pour ainsi dire absorbé. Or l’importance de ces approvisionnemens est telle que sur une seule de ces voies de fer passent chaque jour cent trains de vingt-cinq wagons en moyenne, presque tous chargés de houille. D’autres