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Collège de France. C’est dans ce dernier que M. Claude Bernard a trouvé le moyen de faire toutes ses découvertes. Ces laboratoires ont été à peine agrandis depuis lors.

Deux faits montreront jusqu’à quel point, il y a trente ans, l’expérimentation physiologique était contrariée. En 1842, au milieu d’une leçon de Magendie au Collège de France, et alors que M. Claude Bernard assistait le maître dans une expérience, on vit entrer dans la salle un homme âgé, vêtu de noir, gardant sur la tête un chapeau à larges bords, portant un habit à collet droit et des culottes courtes. « Je demande à parler à Magendie, » dit brusquement l’inconnu, qui était un quaker. Magendie se nomma. Alors le quaker s’exprima ainsi : « J’avais entendu parler de toi, et je vois qu’on ne m’avait pas trompé, car on m’avait dit que tu faisais des expériences sur les animaux vivans. Je viens te voir pour te demander de quel droit tu en agis ainsi, et pour te dire que tu dois cesser ces sortes d’expériences, parce que tu n’as pas le droit de faire mourir les animaux ni de les faire souffrir; tu donnes un mauvais exemple et tu habitues tes semblables à la cruauté. » Les sujets furent immédiatement enlevés, et Magendie, avec autant de calme que de convenance, répondit qu’il fallait se placer à un tout autre point de vue pour juger ces sortes d’expériences. Le physiologiste agit dans une pensée d’humanité; il étudie les lois de la vie pour apprendre à connaître celles des maladies. « Et Harvey, votre compatriote, dit-il encore au quaker, n’aurait jamais découvert la circulation, s’il n’avait fait des expériences sur les biches du parc du roi Charles Ier. » Ces argumens ne convertirent pas plus le quaker que le quaker n’avait converti Magendie, et si l’opinion de l’un a prévalu parmi les savans, celle de l’autre trouve beaucoup de partisans parmi les gens du monde.

Magendie avait d’ailleurs d’autres ennemis dans l’administration de son propre pays. M. Claude Bernard a raconté avec douleur les tracasseries de toute sorte dont son maître fut l’objet de la part de l’autorité, qui surveillait son laboratoire comme un lieu suspect. M. Claude Bernard lui-même eut un jour avec la police un démêlé assez curieux. Un célèbre chirurgien allemand, Dieffenbach, étant de séjour à Paris, désira voir comment on pratique sur un animal une fistule gastrique avec application de canule. Le jeune physiologiste français, sous les yeux du praticien de Berlin, fit l’opération sur un chien dans un laboratoire de la rue Dauphine, puis on renferma la bête dans la cour. Le lendemain, le chien s’était sauvé, emportant au ventre la canule accusatrice du savant. Quelques jours après, de grand matin, M. Claude Bernard fut mandé chez le commissaire de police de la rue du Jardinet. Le magistrat, un