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population qui courait au Trocadéro sut enfin que le cercle de fer de l’armée prussienne se fermait autour de Paris.

J’appartenais alors à 1re compagnie du 3e bataillon du 4e zouaves. Le capitaine R..., qui en avait le commandement, avait été à Sedan, et j’avais fait sa connaissance à l’île de Glaires. C’était entre les évadés qui en avaient partagé les misères comme une franc-maçonnerie. Ce nouveau régiment de zouaves dans lequel je venais d’être incorporé se composait de trois bataillons formés avec les débris des 1re, 2e et 3e régimens d’Afrique. Il portait le n° 4; mais il n’avait pas de drapeau. Il fut question de lui délivrer celui que les zouaves du 3e avaient sauvé de Sedan. Ce qui restait de ce régiment s’y opposa si énergiquement que le drapeau troué de balles fut « versé » au musée d’artillerie.

Bientôt après le régiment fut envoyé à Courbevoie, où les trois bataillons furent cantonnés, et le 3e reçut ordre de répartir son monde dans les petites maisons qui sont groupées entre le village et le remblai du chemin de fer. Des pioches nous avaient été distribuées, et sous la surveillance des officiers une centaine de bras se mirent à l’œuvre pour créneler les pauvres habitations où restaient encore quelques meubles. Quelques coups vigoureux suffisaient pour percer les murailles et faire jouer le vent de chambre en chambre. En un tour de main, le village fut mis en état de défense; briques et moellons tombaient de ci, de là, et des lucarnes s’ouvraient partout, propres à recevoir le bout des chassepots. C’était comme si l’on se fût attendu à l’arrivée subite des Prussiens.

On ne peut pas percer des murs continuellement, même quand c’est inutile; la besogne de créneler la partie du village que nous occupions avait été faite en un jour. Nous ne savions rien de ce qui se passait à Paris. Les journées s’écoulaient lentement, pesamment; nous n’avions pour distraction que les grand’ gardes qu’on nous envoyait monter sur les bords de la Seine. On avait l’émotion de la surveillance. On nous employait aussi aux travaux de la redoute de Charleville; mais les zouaves qui manient le mieux le fusil manient très mal la pelle et la pioche. On faisait grand bruit autour des brouettes, et la besogne n’avançait pas. Une chanson, un récit, une calembredaine, faisaient abandonner les outils, et, quand on les avait abandonnés, on ne les reprenait plus. Après quelques jours d’essai, on nous remplaça par des soldats de la ligne et des mobiles. L’ennui devenait endémique et quotidien. Un exercice de deux heures en coupait la longue monotonie.

Un jour vint cependant, le 16 octobre, où le bataillon crut qu’on allait avoir quelque chose à faire; quelque chose à faire, en langage de zouave, signifiait qu’on avait l’espérance d’un combat. On