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composition de la cour suivant l’importance des accusés ou des plaideurs. Le baron voulait voir siéger parmi ses juges des barons comme lui, absolument comme le bourgeois voulait voir siéger des bourgeois dans « le plaid d’échevinage. »

Tous ces vieux principes du moyen âge ont disparu vers le XIVe siècle, et ils ont laissé peu de traces. Les ordonnances n’en font plus mention ; les jurisconsultes n’y font que des allusions assez vagues. Il semble qu’on ait voulu en étouffer même le souvenir, et ce n’est pas sans difficulté qu’on en retrouve les vestiges et les témoignages en France. Il existe pourtant un recueil de lois, un code complet dans lequel nous pouvons voir comment fonctionnait la procédure par jury au moyen âge. Ce code a été mis en écrit loin de la France; mais il n’en est pas moins un code tout français. Il a été rédigé en Palestine et porte le titre d’Assises de Jérusalem. Les premiers croisés, presque tous sortis de France, avaient emporté avec eux, comme il arrive toujours, leurs lois et leurs usages aussi bien que leur langue. Arrivés au but de leur voyage, ils mirent en écrit leurs coutumes, c’est-à-dire les coutumes du pays qu’ils avaient quitté. Cette œuvre législative, plusieurs fois retouchée et augmentée dans les générations suivantes, représentait si fidèlement la législation de la France du XIe siècle, que beaucoup d’anciens jurisconsultes ont soutenu qu’elle n’était autre que l’ancienne coutume de Paris elle-même, et que plusieurs invoquaient les Assises de Jérusalem comme un témoignage de la vieille législation française. Or nous voyons dans ces Assises que le roi n’avait le pouvoir judiciaire qu’à la condition de l’exercer avec des jurys. La règle du jugement par les pairs y apparaît comme une de ces règles anciennes que nul ne songeait à discuter. Pour juger un baron, le roi ou son représentant ne faisait que présider un tribunal que l’on appelait « la cour de baronnie. » Pour juger un bourgeois, le représentant du roi, c’est-à-dire le bailli, n’était aussi que le président de « la cour des bourgeois. » Partout le jugement appartenait à des jurés. « Après que le bailli est assis en son siège en la court, il doit oïr amiablement les plaideurs,... et puis doit commander aux jurés que ils fassent le jugement[1]. » Cela nous donne l’image de ce qui se passait en France au XIe siècle. En voulons-nous un autre témoignage, nous le trouverons en Angleterre, car l’Angleterre et la France, ces deux pays aujourd’hui si différens, se ressemblaient au XIIe siècle, et avaient, à peu de chose près, les mêmes lois et les mêmes institutions. Les assises et les jurys ambulatoires de l’Angleterre n’étaient que la reproduction exacte de ce

  1. Assises de Jérusalem, Cour des bourgeois, chap. IV; cf. chapitre du Plédéant.