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nir à l’esprit de personne. Ni les sujets ne l’auraient admis, ni les rois ne l’auraient tenté. Aussi ces fonctionnaires ne rendaient-ils la justice que comme tous les seigneurs la rendaient, c’est-à-dire « en assises. » — « En assises, dit le jurisconsulte Bouteiller, doivent être tous procès décidés, tous crimes connus et punis... Assise est une assemblée de sages hommes du pays que fait tenir ou tient le bailli de la province. » En effet, dans la formule de nomination d’un bailli on lit cet article : « Nous lui donnons plein pouvoir de tenir nos plaids pour nous, de semondre et conjurer de loy nos juges et hommes jugeans en notre court, et de leur jugement exercer et accomplir[1]. » Un exemple nous donnera l’idée de la manière dont le bailli ou le prévôt royal convoquait les assises; voici une lettre-formule de l’année 1318: « Nous, Michel, bailli de Vermandois, au prévôt de Montdidier, salut; nous vous mandons que vous fassiez crier nos assises de Montdidier solennellement au dimanche de la Chandeleur aux lieux accoutumés, et fassiez ajourner les hommes du roi jugeans en la châtellenie de Montdidier, que ils soient auxdites assises si suffisamment que les causes puissent être délivrées. » Le bailli ou le prévôt n’était donc que le président d’un jury et l’exécuteur des arrêts. Pour assurer la pleine liberté de ce jury, il était quelquefois interdit au bailli d’assister à ses délibérations. Dans l’ancienne coutume de Touraine, l’autorité des jurés était si grande qu’il suffisait de l’opposition d’un seul d’entre eux pour empêcher de prononcer une condamnation[2]. Ces hommes jugeans, ces jugeurs dont parlent les vieilles ordonnances et les coutumes, n’étaient pas encore à cette époque des légistes de profession. C’étaient des gentilshommes, s’il s’agissait de juger un gentilhomme; c’étaient des bourgeois, s’il s’agissait de juger un bourgeois. Toujours ils étaient les égaux et les pairs de ceux qui étaient en cause.

Ce qu’on appelait alors « la cour du roi » n’était qu’une assise semblable à toutes les autres assises du pays. Elle n’était pas un tribunal permanent, encore moins était-elle un corps de magistrats. Elle était la réunion des plus hauts vassaux du duché de France assemblés pour juger l’un d’entre eux. Aussi ne pensait-on même pas à lui donner une résidence fixe. Elle voyageait avec le roi ; elle le suivait à cheval sur les grands chemins ; si un procès se rencontrait, on descendait de cheval, et sous la tente ou au pied d’un arbre on écoutait les plaideurs, et l’on prononçait l’arrêt. Cependant, comme chacun voulait être jugé par ses pairs, il fallait modifier la

  1. Bouteiller, Somme rurale, titre XIV.
  2. Olim, t. II, p. 100.