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nos batteries furent les premières à braver l’océan et à se montrer dans la Mer-Noire. La Tonnante jetait l’ancre le 12 septembre devant Sébastopol ; la Lave et la Dévastation mouillaient sur cette rade le 26. On ne pouvait souhaiter un renfort plus opportun pour l’expédition de Kinburn.

Outre ces trois batteries flottantes, la flotte alliée, prête à partir pour l’embouchure du Dnieper, ne comptait pas moins de quatre-vingts navires de guerre : dix vaisseaux à hélice, dix-sept frégates à roues, onze bombardes, des corvettes, des avisos, des canonnières. Une flotte de transport la suivait, emportant 8,000 hommes qu’avaient fournis les deux armées. Le commandement supérieur de ces troupes était confié au général Bazaine. L’armement, on le voit, était formidable. Quant à la place menacée, elle était peu digne de si grands préparatifs ; Kinburn n’était qu’une forteresse sans glacis, sans ouvrages avancés, dont l’enceinte se composait de monticules de sable retenus par une maçonnerie de peu d’épaisseur. Un régiment formait la garnison ; 80 pièces de 24, avec une vingtaine d’obusiers, garnissaient les remparts. Cet ouvrage, élevé en face d’Ochakof pour défendre le confluent du Bug et du Dnieper, l’accès de Kerson et de Nikolaïef, avait bien pu défier les attaques des flottes ottomanes, il n’était pas construit pour affronter les effets de notre artillerie. La marine cuirassée allait donc avoir des débuts faciles.

Les difficultés de l’expédition étaient ailleurs que dans les obstacles matériels ; elles étaient dans les incidens imprévus. Les coups de vent d’automne pouvaient rendre le débarquement impraticable, ou laisser les troupes débarquées sans l’appui de la flotte, pendant que le corps des grenadiers russes arriverait à marches forcées de Pérékop. Les prédictions sinistres n’avaient pas manqué à l’expédition de Crimée, elles ne manquèrent pas davantage à l’expédition de Kinburn. L’état de l’atmosphère pendant les premiers jours qui suivirent le départ sembla donner raison aux lugubres prophètes. De gros vents d’ouest régnèrent dans la Mer-Noire ; les flottes furent obligées de s’arrêter sur la rade d’Odessa. Le temps contraire se lassa heureusement plus vite que notre patience. Grâce aux précautions prises, nous arrivâmes jusqu’au fond du golfe sans un seul échouage. Dans la nuit, les chaloupes canonnières balisèrent l’entrée du fleuve. Le lendemain matin, les troupes furent mises à terre ; vingt-quatre heures après l’apparition des flottes devant Kinburn, l’investissement de la place était complet. Le 17 octobre 1855, le soleil se leva radieux ; le vent, qui jusqu’alors avait régné du large, soufflait enfin de terre. Les amiraux firent le signal de se préparer à combattre. Il y avait un an, jour pour jour, que les escadres alliées s’étaient embossées devant Sébastopol. L’objectif cette