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rables, sans compter un engin nouveau que les lenteurs du siège de Sébastopol avaient fait imaginer et dont nous allions faire l’essai devant Kinburn ; je veux parler des navires bardés de fer qui venaient d’être construits à Cherbourg, à Rochefort, à Brest et à Toulon. Ces constructions nouvelles contenaient en germe toute une révolution. Les révolutions s’enchaînent ; celle-ci naquit des progrès réalisés par l’artillerie moderne. Quand on est exaspéré par la défaite, on se préoccupe peu de combattre à armes courtoises. La république avait voulu introduire dans les combats de mer le tir à boulets rouges. Le vainqueur d’Austerlitz demandait qu’on attaquât les murailles de bois avec des obus. L’obusier maritime fut trouvé, mais sous la restauration ; il produisit des ravages plus effrayans encore que ceux qu’on en attendait : des brèches énormes et quelquefois l’incendie. La défense s’alarma. L’obusier du colonel Paixhans fit songer au navire cuirassé ; des essais eurent lieu en 1842 au port de Lorient, sur la proposition et sous la direction d’un officier français, le capitaine de frégate Labrousse. Des feuilles de tôle, superposées et appliquées sur une muraille de bois, brisèrent les projectiles creux, arrêtèrent souvent les projectiles pleins. Malgré l’espoir très fondé que donnait le succès de ces expériences, les esprits négatifs, toujours en majorité dans les conseils, obtinrent un arrêt de non-lieu. En 1852, on répondait encore aux instances du commandant de la frégate-école des matelots canonniers « qu’il fallait renoncer à défendre par un revêtement métallique les murailles des vaisseaux. » Ce revêtement, disait-on, serait projeté en mitraille à l’intérieur, et constituerait un surcroît de danger plutôt qu’une protection. Deux années plus tard, quand on vit Sébastopol tenir en échec les armées navales de la France et de l’Angleterre, on se souvint des batteries flottantes employées en 1782 au siège de Gibraltar. Pour accroître l’efficacité de l’action maritime, on voulut encore une fois bâtir, s’il était possible, des navires invulnérables. Les essais de Lorient furent repris à Vincennes. Une volonté calme et ferme y présidait ; elle sut profiter de tout le chemin qu’avait fait en dix ans la métallurgie. Aux feuilles de tôle on substitua des plaques de fer forgé dont on accrut peu à peu l’épaisseur. Ces plaques ne résistèrent pas seulement au tir des obus ; elles supportèrent sans se rompre le choc des boulets massifs du canon de 50. Le problème que toutes les nations maritimes s’étaient posé, la France l’avait résolu. Il n’y avait plus qu’à commander dans les ports des batteries flottantes. Pressée d’en faire construire à notre exemple, l’amirauté britannique ne se rendit que par condescendance à ce conseil. Elle procéda si mollement à la confection d’un matériel dont l’idée lui semblait peu pratique, que