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et à Inkermann étaient devenus rares ; c’était avec des recrues que la Russie continuait la guerre. Le jour, en se levant, éclaira une affaire décidée à notre avantage. L’artillerie arrivait, La cavalerie se massait dans la plaine. L’ennemi fut bientôt repoussé sur toute la ligne ; il couvrit les monts Fédioukine et le pont de Traktir de cadavres. Ses pertes furent évaluées à 6,000 hommes ; 2,200 prisonniers restèrent entre nos mains. Nous n’avions eu que 8 bataillons engagés et 700 hommes hors de combat.

Après une pareille preuve de notre ascendant, les Russes ne pouvaient plus songer qu’à évacuer la place. Ils firent leurs préparatifs de retraite, et n’essayèrent même pas de nous les dissimuler. Un pont de radeaux composés de forts madriers unit les deux rives du port. Ce pont, nos boulets ne pouvaient encore l’atteindre. Il fallait néanmoins se hâter de s’en servir, car, tout en cheminant vers Malakof, nous poussions des batteries du côté de la rade. La garnison de Sébastopol devait craindre de voir se fermer d’un moment à l’autre la seule porte de sortie qui lui restât ouverte. Aussi attendait-elle avec impatience l’arrivée des ordres demandés à Saint-Pétersbourg ; chaque instant de retard empirait sa situation. On voyait tout le jour des bataillons accroupis près du fort Saint-Paul, seul point où n’allassent pas tomber nos obus. La ville n’était plus qu’un immense charnier, la côte opposée un vaste cimetière. On évalue à 30,000 le nombre des Russes qui périrent dans l’espace de trois semaines. De notre côté, nous avions 200 hommes atteints par jour. Il fallait une solution prompte à ce massacre. Nous aurions sans doute facilement écrasé, sous les nouveaux mortiers dont l’envoi nous était annoncé de Toulon, ce qui restait de Sébastopol ; mais il eut fallu, en attendant, reporter notre attaque en arrière, car nos travaux avancés coûtaient cher à garder. Ou préféra tenter un grand coup, et bientôt le cri : à l’assaut ! fut le cri général.

J’ai assisté à quelques-uns des conseils qui se tinrent à cette occasion. Je ne perdrai jamais le souvenir du calme, de la mesure, qu’y apportait le général en chef. Bien des gens prétendaient que l’échec du 18 juin devait être attribué à un plan vicieux. Nos alliés demandaient que l’assaut ne fût plus un assaut partiel, mais devînt une attaque générale. Leur céder sur ce point, c’était rendre l’échec irréparable. On prit un moyen terme. Le général concéda la série des assauts successifs. On savait cependant par une expérience récente que tout assaut qui n’est pas une surprise est un assaut manqué. Comment espérait-on surprendre l’ennemi au Grand-Redan, quand on ne voulait l’y attaquer qu’après avoir pris Malakof ? Comment ne pas le trouver sur ses gardes au Bastion-Central, lorsqu’il fallait attendre, pour lancer sur ce point nos colonnes, que le