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comme déserteurs pour les envoyer ensuite devant les conseils de guerre. Heureusement l’opinion publique les prit sous sa protection. Lorsque les treize premiers d’entre eux comparurent devant les juges, la presse libérale plaida leur cause, la jeunesse d’Athènes soutint leurs défenseurs de sa présence et de ses sympathies. L’intérêt que leur sort inspirait à la population fut si général qu’on n’osa pas les condamner. Après les plaidoyers prononcés pour leur défense par le jeune Colocotioni et par un des meilleurs avocats du barreau grec, ils sortirent de l’audience acquittés et triomphans. Seront-ils tous aussi heureux ? Il est permis de l’espérer, si le sentiment public continue à se prononcer en leur faveur. Tout porte à croire que les Athéniens resteront fidèles à la même cause. Ils sentent que c’est la leur aussi bien que celle de la France. Le patriotisme hellénique ne s’y trompe point. Un service ayant été commandé à l’une des églises d’Athènes pour les Grecs morts pendant la guerre dans les rangs de l’armée française, l’affluence fut énorme, et tous les patriotes se firent un devoir d’y assister.

Il y a donc en Grèce et partout où vivent des Grecs de véritables alliés de la France, des amis qui n’aiment point seulement en nous notre grandeur, notre prospérité, notre influence dans le monde, mais que le malheur n’a point détachés de nous, dont notre infortune même nous a fait connaître la rare fidélité. Nous avons reçu trop peu de témoignages de ce genre pour n’en pas estimer le prix. Il ne suffit pas néanmoins à notre instruction politique de savoir dans quelle partie du monde nous conservons notre crédit, et d’en témoigner notre gratitude à ceux qui le méritent. À moins de continuer, comme nous le faisons depuis trop longtemps, à vivre dans l’ignorance de ce qui se passe à l’étranger, il nous est nécessaire de démêler avec soin les motifs souvent divers de rattachement qu’on nous porte.

Pour un observateur attentif, il n’y a rien d’absolument simple dans les relations qui rapprochent ou qui divisent les peuples. Les rapports internationaux se composent de nuances délicates, comme la plupart des rapports qui existent entre les hommes. Le sentiment y entre pour quelque chose, non pour tout. Il serait même regrettable qu’il ne s’y mêlât point un peu de cet intérêt bien entendu qui rend plus sensibles les affinités naturelles et consolide les alliances. Si l’on découvrait qu’en nous restant fidèles les Grecs ne pensent pas-seulement à nous, mais qu’ils pensent aussi à eux-mêmes et aux destinées de leur race, ce serait un motif de nous réjouir plutôt que de nous affliger. Leur affection nous paraîtrait plus solide encore et plus durable, si elle se confondait avec leur politique nationale.