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Le roi galant homme s’est montré à la fenêtre du Quirinal, d’où, au temps passé, aux jours des conclaves, on annonçait au peuple romain l’avènement des nouveaux papes. Des bals ont été donnés au Vieux Capitole dans la salle de la Louve et dans la salle des Oies, peu accoutumées à cette musique. Tout est pour le mieux, les Italiens sont satisfaits ; Florence, l’aimable ville toscane, a vu sans regret partir tout ce monde officiel qui était venu la déranger dans ses habitudes, et Rome inaugure joyeusement son rôle de capitale avec ses ministres, ses chambres, sa garde nationale, ses cérémonies officielles et ses journaux. Tandis que l’Italie mariait sa jeunesse à ses grandes ruines romaines, dans un coin de la ville, au fond du Vatican, il y avait cependant encore un vieux pape qui pouvait entendre comme une rumeur de ces fêtes étranges et le bruit du canon signalant l’entrée de Victor-Emmanuel. Il a eu, lui aussi, tous ces derniers temps, ses réceptions et ses députations de catholiques accourus pour le saluer à l’occcasion de son jubilé pour cette vingt-cinquième année de règne qui jusqu’ici n’avait jamais été célébrée. On dirait que le pape Pie IX n’a tant vécu que pour ajouter un phénomène extraordinaire de plus à cet autre phénomène de la transformation de l’Italie et du pontificat, pour personnifier jusqu’au bout cette crise de Rome et du monde catholique. Pie IX a-t-il eu l’intention de se dérober à celle épreuve et de quitter le Vatican à l’approche de ce pouvoir nouveaux venant s’installer souverairement à Rome ? Toujours est-il jusqu’ici il n’est point parti, il est resté auprès de la Confession de saint Pierre comme s’il ne pouvait être ailleurs.

Ceux qui ne doutent de rien et n’écoutent que leurs passions auraient voulu peut-être qu’il fit un éclat ; ils lui auraient conseillé de s’éloigner en secouant la poussière de ses sandales, de sortir de Rome par une porte tandis que Victor-Emmanuel entrait par l’autre porte. Et après, où serait-il allé ? quel coin de terre aurait-il pu choisir qui ne fût un lieu d’exil et où le prestige de la papauté n’eût souffert bien plus que là où il est ? Quelle puissance européenne, fût-ce la plus catholique, aurait pu taire à sa souveraineté la place que l’Italie lui laisse encore ?

Voilà donc cette révolution accomplie et cet ordre nouveau inauguré, — le pape au Vatican, le roi italien au Quirinal, Rome devenant la capitale de l’Italie sans cesser d’être la résidence du pontife. Que sortira-t-il de là maintenant ? Comment se concilieront ces deux pouvoirs, dont l’un, dépouillé de toute juridiction temporelle, reste avec des prérogatives de souveraineté reconnues, sanctionnées par l’Europe ? Ce que Pie IX n’a pas fait dans le premier moment, le fera-t-il plus tard ? S’exilera-t-il du Vatican au risque de laisser à son successeur l’héritage d’un pontificat réduit à errer sur les chemins du monde ? C’est peut-être après tout une question de temps et de conduite pour les uns et pour les autres. Quoi qu’il en soit, c’est là visiblement une de ces révolutions qui,