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tions, qu’une restauration monarchique serait nécessairement la résurrection des droits seigneuriaux, des abus et des privilèges d’autrefois ; mais enfin nous proposer de revenir à 1788, de reprendre l’histoire là où l’ancienne monarchie avait mis son signet, c’est un peu naïf : c’est demander à la France de biffer d’un trait tout ce qui s’est passé, d’oublier tout ce qu’elle a été, de se renier elle-même. On a beau être convaincu, on ne demande pas ces choses-là à tout un pays, et Henri IV, que le Bourbon d’aujourd’hui invoque en l’imitant aussi peu que possible, Henri IV eût été bien capable d’être plus habile, sans cesser d’être honnête, en trouvant que Paris et la France valaient une messe et même un drapeau. Évidemment M. le comte de Chambord n’a songé en aucune façon à être habile, il n’a voulu qu’être sincère, et il a réussi au prix des chances qu’il pouvait avoir encore, au risque de faire de son manifeste une abdication, de n’être plus que le passé, et de s’exposer à disparaître enveloppé dans les plis de son drapeau. C’est ce qu’on appelle tuer son principe en l’affirmant.

M. le comte de Chambord n’a point vu en effet que non-seulement il s’isolait dans cette masse de la France nouvelle accoutumée depuis quatre-vingts ans à d’autres pensées, mais encore qu’il infligeait à ses partisans eux-mêmes la plus douloureuse perplexité ; il les plaçait subitement dans cette alternative de se séparer de leur prince ou de rompre avec la France. Que pouvaient faire des hommes qui ont vécu de la vie de leur pays, dont quelques-uns venaient de combattre sous ce drapeau qu’on leur demandait aujourd’hui de désavouer ? Il y a eu sans doute, il y aura encore parmi eux des fidèles obtinés qui suivront leur roi jusqu’au bout, jusqu’au suicide politique. La plupart, il faut le dire, n’ont point hésité, c’est du moins ce qu’on peut conclure d’une note qu’ils ont fait publier. Ils laissent à M. le comte de Chambord la responsabilité de ses inspirations personnelles, et ils déclarent qu’ils restent, quant à eux, « dévoués aux intérêts de la France et à ses libertés, pleins de déférence pour ses volontés ; » ils refusent de se séparer de ce drapeau, qui a été celui de nos soldats devant l’ennemi étranger, le drapeau de l’ordre social devant l’anarchie, et c’est ici précisément que le manifeste du 5 juillet prend une portée politique qui avait peut-être échappé au prince dont il porte le nom, qui est de nature à réagir sur l’ensemble de la situation actuelle de la France.

Il n’y a point à s’y méprendre, un événement de la gravité la plus décisive vient de s’accomplir. Par le fait, il y a toujours sans doute des monarchistes dans l’assemblée comme dans le pays, le parti légitimiste n’existe plus, et c’est M. le comte de Chambord qui l’a tué, sans le vouloir, de la main qui a signé les déclarations du 5 juillet. En croyant sauver le drapeau, il a dispersé l’armée. Jusqu’ici, les légitimistes français, par les positions sociales, par la fortune comme par les tradi-