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les ombrages de Chambord, sur ce sol français où il est à peine depuis trois jours, et il dit à la France : « Je suis le passé, je suis le droit monarchique dans toute son intégrité, sans mélange et sans transaction. Qu’on ne me parle pas de conditions que je ne dois point subir, pas plus pour mon drapeau que pour mon principe. Mon drapeau, à moi, est le drapeau blanc. Je l’ai reçu comme un dépôt sacré du vieux roi, mon aïeul, mourant en exil ; il a flotté sur mon berceau, je veux qu’il ombrage ma tombe… » Au fond, tout est là, et, cela fait, le comte de Chambord s’est évanoui ; il n’est plus resté que le roi Henri V, qui ne pouvait plus évidemment demeurer parmi nous, qui a dû se dérober de nouveau en disant aux Français : « Quand vous voudrez ! »

Certes, aux yeux de ceux qui ont l’esprit assez élevé pour tout comprendre, et le cœur assez large pour aimer la France de toutes les époques, de tous les régimes, pour ceux qui savent allier ce que nous appellerons le sentiment historique, cette racine première du patriotisme, au sentiment des nécessités modernes, le drapeau relevé par M. le comte de Chambord a sa part dans les gloires du pays. Rien au monde cependant ne peut faire que depuis quatre-vingts ans la France n’ait point eu d’autres couleurs. Nous n’avons pas envie de refaire la chanson du Vieux drapeau, de Béranger ; il n’est pas moins vrai qu’il existe, il a été mêlé à près d’un siècle de notre histoire. Sous les plis de ce drapeau, la nation française a marché au combat, elle s’est identifiée avec lui, elle l’a teint de son sang et illustré de son héroïsme ; c’est le drapeau de ses victoires et de ses infortunes. Mille fois elle a tressailli jusqu’au plus profond de son âme en le voyant passer criblé par la mitraille ennemie, noirci par le feu, devenu une guenille sanglante et auguste ; par lui, elle a ressenti toutes les exaltations ou toutes les tristesses du patriotisme. Est-ce qu’on abandonne un drapeau parce qu’il a été malheureux ? On s’y attache au contraire avec une fidélité plus ardente et plus dévouée, comme au symbole vivant et émouvant des amertumes et des secrètes espérances d’un peuple. C’est avec lui qu’on est tombé, c’est avec lui qu’on veut se relever. M. le comte de Chambord n’a pu s’y méprendre que parce que la fatalité de l’exil l’a fait nécessairement étranger à cette vie nationale qui, elle aussi, a « son principe, son honneur, son drapeau. » Évidemment, à ses yeux, tout ce qui s’est accompli sous les couleurs nouvelles ne compte que comme un intermède orageux et funeste, et pour mieux accentuer sa pensée, d’ailleurs il ne s’en cache pas, ce qu’il propose à notre pays, c’est de « reprendre, en lui restituant son caractère véritable, le mouvement national de la fin du dernier siècle, » en d’autres termes, de recommencer 1780 dans des conditions plus orthodoxes.

Assurément c’est une vulgaire indignité des partis d’aller répéter aux populations des campagnes, comme on l’a fait dans les dernières élec-