Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 94.djvu/450

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

succès aussi éclatant qu’inattendu de son dernier appel au crédit lui a révélé ce qu’elle garde de ressources et ce qu’elle inspire toujours de confiance. Les élections qui viennent de s’accomplir lui font un certain équilibre jusque dans cette instabilité où elle a consenti à s’abriter temporairement. Les mouvemens, les agitations, les prétentions contraires des partis, n’ont d’autre effet que de lui rendre par degrés la conscience de cette politique de libéralisme et de modération qui est dans sa nature, de sorte qu’il est bien permis de dire encore que tout vient à point à qui sait attendre ; tout concourt à régulariser, à fortifier cette situation, qui n’a rien de définitif, il est vrai, qu’on appellera provisoire, puisque c’est ainsi entendu, mais qui en fin de compte est la France se gouvernant, agissant par elle-même, se réorganisant sous sa propre inspiration avec M. Thiers pour conseiller et pour guide.

Quel est dans ces circonstances le sens du dernier manifeste de M. le comte de Chambord ? Il y a dans l’histoire et dans la politique d’étranges péripéties qui, en dépassant les combinaisons ordinaires, n’ont pas moins une action directe et immédiate sur la marche des choses. Au milieu du tumulte des partis, il y a des manifestations exceptionnelles qui ressemblent à la révélation soudaine et imprévue d’une situation. Le manifeste de M. le comte de Chambord est une de ces révélations et une de ces péripéties. C’est l’acte aussi noble qu’injpolitique d’un esprit sincère et convaincu qui pousse la loyauté « jusqu’au sacrifice, » comme on fa dit, qui aime mieux s’exposer à voir sa cause à jamais perdue que de laisser l’ombre d’un doute sur ses idées, sur les principes qu’il personnifie. Il n’y a point à s’y tromper en effet, le manifeste du 5 juillet est une abdication naïve, d’autant plus caractéristique qu’elle est absolument inconsciente, et tout contribue à imprimer à cette scène de l’histoire contemporaine un caractère émouvant. Voilà un prince jeté autrefois hors de France par un orage populaire lorsqu’il n’était encore qu’un enfant innocent des fautes sous lesquelles succombait la monarchie dont il était fhéritier légitime. Depuis plus de quarante ans, il est proscrit, et cette proscription il l’a portée incontestablement avec une dignité simple, sans aigreur et sans impatience, ne descendant jamais jusqu’à une pensée de conspiration et ne laissant pas échapper une occasion de rendre témoignage de son attachement pour la France. Le jour où son exil est levé et où il peut rentrer momentanément, comme un hôte à peine aperçu, dans ce domaine de Chambord qui lui vient d’une souscription française, il tient à ce que personne ne se trompe sur lui, à ce qu’il n’y ait « ni malentendu ni arrière-pensée, » comme il le dit ; il se fait une obligation d’honneur de prévenir jusqu’à la visite des princes de sa famille qui, en allant saluer en lui le chef de leur race, pourraient avoir une opinion en politique ; il ne consulte pas ses amis ou il n’écoute guère ceux qui vont lui porter des conseils ; il se recueille sous