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quitter leur pays. Elle en a transporté un grand nombre en Roumélie ; il était facile de leur attribuer des terres dans ces solitudes. Les petits villages tatars prospèrent peu ; ces hommes sont à peine sortis de la barbarie ; plutôt que de cultiver leurs champs, ils exploitent les voyageurs. Il n’est pas rare de les voir se réunir, et tomber à l’improviste sur un village turc ou grec, qu’ils mettent à rançon. Quand les zaptiés arrivent, les pillards ont disparu. Ces Tcherkess font le désespoir des fonctionnaires turcs, auxquels ils créent mille difficultés. Ce sont de beaux hommes, fortement charpentés, et malgré cela très alertes ; leur nez busqué, leurs yeux noirs, leur visage énergique, leur donnent un aspect étrange, ils sont la terreur d’un pays qui sans eux connaîtrait, sinon le bonheur, du moins une paix profonde.

À Hafsa, Adami ne veut pas que nous déjeunions au khan, il avise un paysan turc qui consent à nous recevoir. Cet homme, qui n’est pas riche, a une maison de triste apparence ; quand on entre cependant, elle est agréable : une terrasse de sapin bien équarri donne sur un jardin ; des plantes grimpantes montent le long des poteaux et retombent en guirlandes ; quelques fleurs bleues, quelques cactus, tranchent sur cette verdure si fraîche. La pièce principale, qui s’ouvre sur une terrasse, est très propre, sans autre meuble qu’un vaste canapé recouvert de percale blanche ; à droite est la chambre du mari, à gauche celle de la femme. Bientôt les tapis sont étendus sur la terrasse ; quatre petits coussins, autour de la table, indiquent les places du maître, de son fils, d’Adami et la mienne. Le fils apporte un vaste gâteau cuit au four et couvert d’une pâte aux œufs et au lait. L’eau de groseille sucrée remplace le vin. Le repas se fait en silence ; le bambin nous sert, puis dîne dans l’intervalle ; sa gravité est irréprochable, on croirait voir un mufti au conseil de justice. Ce calme est un don de nature chez les Turcs, ils naissent dignes et réservés. Dans cette maison si petite, la femme, qui a tout préparé, s’est si bien cachée que nous partons sans l’avoir vue.

Hafsa a un beau khan, en ruine depuis des années. C’est un vaste édifice, comme on en trouve beaucoup sur la route de Rodosto à Sofia ; ils datent du temps où s’élevaient les ponts gigantesques que nous remarquions tout à l’heure. Des écuries, de vastes cuisines, un grand nombre de petites chambres, des cours de 100 mètres de long et plus le composent ; le voyageur y trouvait un confortable à souhait. Les hautes portes sont monumentales ; une mosquée ornée de deux minarets, des salles de bains chauds, complètent ce caravansérail. On s’est servi pour le construire de grosses pierres de taille bleuâtres. Aujourd’hui ce khan est une carrière où on vient