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crédit français. Pendant que les volontaires nous offraient leur sang, les banquiers nous offraient leurs capitaux. Quand la ville de Marseille émit un emprunt de 10 millions pour subvenir aux dépenses militaires, les trois premiers millions furent souscrits par une seule maison grecque ; d’autres maisons souscrivirent dans une très forte proportion au reste de la somme. Ailleurs, on faisait des quêtes pour nos blessés ou pour les Français victimes de la guerre. Dans la colonie grecque de Manchester, on avait déjà réuni beaucoup d’argent pour cet objet au moment où la paix fut signée.

Il nous reste un curieux monument de la propagande que la société hellénique fit alors en notre faveur : c’est un décret (pséphisma) proposé aux cinq cents familles grecques de Marseille et voté par elles. On en remarquera la couleur antique.


« Les Grecs de Marseille, y est-il dit, enfans de la grande patrie panhellénique, une et indivisible, de celle qui est libre et de celle qui se trouve encore sous le joug des barbares, s’étant réunis, ont réfléchi et résolu ce qui suit :

« Sachant que le peuple généreux de la France a toujours combattu et travaillé pour le bien des autres peuples, même contre ses propres intérêts ; se souvenant que le peuple français a toujours aimé la Grèce, et avant et après sa délivrance, par une noble reconnaissance pour nos ancêtres, qui ont civilisé les peuples de l’Europe et de l’Asie ; attendu qu’il a immortalisé notre guerre de l’indépendance par sa littérature et par ses beaux-arts, et surtout qu’il est accouru au secours de nos pères pendant leur lutte sacrée, que les particuliers nous ont aidés aussi bien que le gouvernement, qu’on nous a envoyé des armées et des flottes, et que le noble sang français a coulé fraternellement sur notre terre avec le sang grec ; voyant aujourd’hui le peuple français tombé dans un grand danger par la faute d’un despotisme parjure et sans contrôle ; considérant qu’à la suite d’une invasion sauvage il combat pour son salut, sa liberté et son honneur, et qu’avec lui sont en danger la liberté, les lois, la justice et le progrès des autres peuples, — déclarent par ces motifs que c’est un devoir sacré pour tout homme et pour toute nation de secourir le peuple français, mais que c’est principalement le devoir du peuple grec, car c’est une vertu traditionnelle des Grecs d’être reconnaissans envers leurs bienfaiteurs, — disent qu’aujourd’hui surtout la Grèce exige de ses enfans d’oublier ce qu’ils ont souffert récemment en Crète par le crime de la politique impériale, de ne se souvenir que du philhellénisme traditionnel du peuple français, et, tandis que les autres peuples ont étonné la France par leur oubli et par leur ingratitude, de l’étonner au contraire par leur amour et par leur reconnaissance : — c’est pour cela qu’ils ont décidé, en partageant le désir commun du peuple grec, de proclamer