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mirer l’habileté des Turcs, qui sont propres, paraît-il, à remplir une fonction en tout pays, et aussi l’aisance, qui m’avait déjà étonné, avec laquelle on leur fait traverser dans toute sa longueur ce vaste empire.

Tous les raïas, c’est-à-dire les non-musulmans, sont divisés en communautés selon la religion. Chaque communauté se gouverne par elle-même et comme elle l’entend ; pour ses affaires propres, son indépendance est absolue. Un conseil la représente dans ses relations avec la Porte. Ces conseils sont électifs. Une fois par an on se réunit au temple ou à l’église, et là on nomme par l’élection ceux qui doivent veiller aux intérêts de tous. En temps ordinaire, ce conseil a l’initiative des décisions à prendre ; mais, quand des questions graves se présentent, tous les membres d’une même communauté se réunissent et discutent. Les Grecs surtout excellent à pratiquer ces libertés communales. C’est là la seule forme de gouvernement qu’ils comprennent. Très inexpérimentés quand il leur faut, à Athènes par exemple, se faire aux règles du régime constitutionnel, ils ont toutes les qualités que demande la gestion de leurs affaires municipales. La vie politique est très active dans ces petites républiques ; comme autrefois, l’éloquence et la brigue y tiennent une grande place, et cependant les affaires n’en vont pas plus mal. Le raïa doit au gouvernement la dîme et les autres impôts ; en échange de ces sacrifices, l’état ne lui fait aucun avantage ; il ne s’occupe ni de travaux publics, ni de l’instruction, ni de l’église. L’instruction et l’église sont le grand souci des communautés grecques. « Un village grec sans didaskal (sans maître d’école), dit un proverbe, est aussi rare qu’une vallée sans montagne. » Aux environs de Rodosto, dans de pauvres bourgs, où on ne compte pas plus de cent maisons, le maître d’école me montrait sa bibliothèque ; il avait là les classiques de la collection Tauchnitz. À Rodosto, la communauté a créé depuis longtemps deux écoles primaires ; elles comptent — l’une 150 élèves, l’autre 70 ; l’enseignement n’est pas obligatoire, mais personne ne consentirait à en priver ses enfans. Le gymnase ou école hellénique devrait être ce qu’on appelle en France un lycée. On y enseigne les mathématiques, l’histoire, les figures de style, la géographie et même le français. Les classes sont au nombre de cinq. Le directeur n’a d’ordinaire qu’un ou deux aides, ce qui est bien peu. Les élèves les plus instruits servent de moniteurs aux autres ; c’est donc l’enseignement mutuel, général du reste dans toutes les villes grecques de la côte. Les frais de l’instruction publique ne demandent à la communauté que ou 7,000 francs en moyenne. Les maîtres sont peu payés, les redevances individuelles et volontaires, toujours nombreuses en pays grecs, rendent leur position moins difficile.