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ont un petit banc de bois et une glace. L’étranger balaie le plancher, y étend la couverture qu’il a eu soin d’apporter, et dort quand il peut. On m’avait procuré à Constantinople une lettre pour un des maîtres d’école de Rodosto, Constantini ; cet excellent homme m’a reçu comme le meilleur de ses amis. Les Grecs sont le peuple le plus hospitalier du monde. Ils se vantent d’être philoxènes, amis des hôtes, ce titre leur est bien dû ; pour eux, les étrangers viennent toujours de Jupiter. M. Constantini avait si grande hâte de me fêter, qu’il n’a pas lu tout entière la lettre que je lui remettais ; il m’a dit plus tard qu’il ne reconnaissait ni l’écriture, ni le nom du signataire. Mon ami Petro avait parlé de mon voyage à un de ses parens appelé Dimitri. Dimitri ne connaissait personne à Rodosto, il s’est adressé à Nicolas, Nicolas à un autre ; d’intermédiaire en intermédiaire, on a fini par me trouver une lettre que Petro m’a remise ; il ignorait qui l’avait écrite, mais ne doutait pas de l’accueil qui me serait fait. Ce brave garçon ne se trompait guère. Ainsi sont les Grecs. L’hospitalité est certainement un devoir dans des villes où il faut rester dans la rue, ou, ce qui ne vaut guère mieux, loger au khan, si on n’a pas quelque maison amie pour s’abriter ; heureusement le caractère grec se prête très bien à pratiquer les devoirs de ce genre. Un hôte est une distraction pour des gens qui en ont si peu ; il sait des nouvelles, — que de beaux discours ne va-t-on pas échanger avec lui ! — Un Grec n’hésite jamais à vous recommander à un Grec. Je viens de faire quelques excursions sur la côte, où les villages sont tous helléniques. « Savez-vous où aller loger ? Allez chez un tel de ma part. » Mon carnet est couvert d’adresses que m’ont données, celle-ci un petit marchand de tabac chez lequel je faisais une empiète, celle-là un brave homme qui est venu s’asseoir à côté de moi pendant que je prenais mon café sur la marine. Ces adresses étaient excellentes. C’est un plaisir pour un Grec de vous recevoir ; seulement d’ordinaire, quand ses discours sont épuisés, vous ferez bien de prendre congé de lui. Dès que la conversation languit, le temps de seller votre cheval est venu. La période d’enthousiasme pour un hôte grec, Constantini et quelques autres exceptés, dure quarante-huit heures, un peu plus, un peu moins.

On sait que dans l’antiquité chaque ville avait des proxènes. Un Athénien par exemple était proxène de Corinthe, un Amorgien de l’île d’Ikos. Le proxène recevait les étrangers de la ville qui lui avait donné ce titre. Les hôtelleries de la Grèce antique ne valaient guère mieux que les khans d’aujourd’hui. Les archéologues ont démontré que les auberges sont une création romaine. La proxénie était une nécessité dans le monde grec d’autrefois ; si elle imposait certains devoirs politiques, comme de suivre des procès d’étran-