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nous supportions tant d’épreuves. La Grèce aussi avait souffert, son territoire avait été ruiné et dévasté par un ennemi implacable ; les vieux témoins de ses désastres, nombreux encore et attachés à leurs souvenirs, retrouvaient dans le récit de nos maux une image agrandie de leurs propres malheurs. D’ailleurs cette France qui se débattait sous la main de l’étranger, c’était la France des philhellènes, la patrie de tant de généreux écrivains qui avaient raconté les exploits des palikares et appelé l’Europe au secours de la Grèce, de tant d’hommes de cœur qui avaient offert leurs vies pour la liberté hellénique, la patrie de Chateaubriand et celle de Fabvier. La presse libre d’Athènes, la presse qui se tient en étroite communication avec le sentiment populaire, qui s’inspire surtout du patriotisme, se reporta avec émotion vers l’époque héroïque de la guerre de l’indépendance pour y chercher la trace de tous les services désintéressés que les Français avaient rendus à la Grèce. Il ne fut plus question alors que de notre générosité passée et de nos calamités présentes. On ne songea plus qu’à nous prouver la reconnaissance de la Grèce, à nous payer une dette nationale. Le branle était donné à l’opinion, l’idée d’une croisade pour la France, partie de la capitale, se propagea de proche en proche, de rivage en rivage, jusqu’aux extrémités du monde hellénique.


II.

À la tête de ce mouvement se plaça dès le début un homme de cœur et de l’esprit le plus distingué, M. Gennadios, professeur à l’université d’Athènes, rédacteur en chef du journal l’Étoile, ancien étudiant des universités allemandes, nourri des travaux de la science germanique, mais trop au courant de l’histoire de l’Allemagne, trop instruit de la nôtre pour hésiter entre un peuple qui n’a jamais rien fait pour la Grèce, dont la Grèce ne doit rien attendre dans l’avenir, et les meilleurs, les plus anciens amis de la race hellénique. Il prit le parti de la France avec une grande énergie ; il exprima le premier l’opinion qu’il ne fallait pas s’en tenir à une démonstration d’amitié platonique, que, les Français ayant secouru les Grecs dans leur malheur, ceux-ci devaient à leur tour secourir les Français, et de même que la presse libérale de la restauration avait fait appel aux philhellènes de notre pays, il invita ses compatriotes à s’organiser en corps de volontaires, à quitter leur patrie pour concourir à la défense de notre territoire. Les journaux grecs dévoués à la Russie donnèrent une nouvelle preuve de leurs sympathies pour la Prusse en essayant de s’opposer à ce mouve-