Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 94.djvu/387

Cette page n’a pas encore été corrigée

LA REVANCHE
DE JOSEPH NOIREL

PREMIÈRE PARTIE.

I.

Si le parfait bonheur n’est pas de ce monde, on en trouvait toutefois le semblant, il y a quelques années, dans une maison de campagne située à trois ou quatre kilomètres de Genève, sur la grande route de Saint-Julien, à laquelle elle se relie par une longue avenue de poiriers. Cette maison, que ses habitans ont baptisée du nom de Mon-Plaisir, offre aux passans un agréable coup d’œil. Bâtie au sommet d’un tertre gazonné, entourée de massifs de verdure et d’un parterre de roses, elle domine au couchant un verger, au levant une vigne en pente, que bordent un ruisseau et une saulaie.

Le propriétaire de ce riant domaine était un bourgeois de Genève, M. Thomas Mirion, fabricant et marchand de meubles, qui entendait son métier et que son métier avait enrichi. Cet heureux homme sentait son bonheur ; il le portait sur son honnête figure, sur ses joues enluminées et replètes, dans son regard vif et assuré, dans son sourire, où se peignait une aimable bonhomie qui n’avait jamais nui à son commerce. Il faut convenir que, si le ciel l’avait aidé, cet homme aux larges épaules et au râble épais s’était bravement aidé lui-même. Courageux au travail, dur à la peine, il avait cet esprit de suite qui mène cà tout, cette bonne humeur qui simplifie les difficultés, cette attention circonspecte qui préserve des faux pas. Bien qu’il eût comme un autre le désir de tenir sa place et de faire figure dans ce monde, il avait toujours strictement réglé sa