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la justice que beaucoup lui ont refusée. N’a-t-on pas trouvé qu’il était conçu avec une extrême timidité et gardait trop de ménagemens pour un système financier vicieux qu’il faudrait refaire de fond en comble? On attendait mieux de M. Pouyer-Quertier, le fougueux orateur du corps législatif, qui parlait des questions financières avec l’ardeur d’un tribun, et en même temps avec une pleine connaissance des détails. Au contraire, — et la déception est grande, — M. Pouyer-Quertier, a-t-on dit, conserve tous les cadres, se bornant à de petites mesures comme un commerçant qui cherche à sortir d’une crise, non par une entreprise hardie et féconde, mais par des rognures sur ses dépenses domestiques et de légères augmentations sur ses prix de vente. Ces reproches sont à nos yeux l’éloge de M. Pouyer-Quertier. Il a pensé avec raison que le remaniement des impôts est une entreprise qui convient surtout aux temps de calme, et qu’il y aurait témérité à l’exécuter lorsque nous avons sur le sol français une armée qui attend, pour commencer l’évacuation, le paiement de l’indemnité, lorsque pour nous libérer nous n’avons qu’un terme très court et que nous sommes obligés de faire appel au crédit pour des sommes dont le chiffre dépasse celui de tous les emprunts connus. Les impôts d’un pays sont la garantie de ses dettes, et son crédit se mesure à la solidité de ses finances. Or notre système financier est depuis longtemps connu en France et à l’étranger. Ceux qui prêtent savent quelles sont les ressources de l’état. Y aurait-il eu prudence, la veille d’un emprunt qu’on a eu raison d’appeler colossal, à troubler ces notions et à jeter le public des capitalistes dans l’incertitude sur nos ressources futures? Fallait-il aux notions connues substituer des appréciations confuses et faire douter les prêteurs de la solidité et de l’étendue du gage? M. Pouyer-Quertier a pensé qu’il valait mieux augmenter les droits existans que de recourir à des innovations dont le public n’aurait pas eu avant l’emprunt le temps de mesurer la portée. Il a été récompensé de la justesse de ses idées et de la sagesse de ses propositions, car le public lui a répondu par une véritable explosion de confiance. On ne peut pas en effet donner un autre nom à la soudaineté avec laquelle près de 5 milliards ont été souscrits en quelques heures.


A. BATBIE.