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ni la qualité des valeurs dont il est propriétaire, et dès lors personne ne pourrait dire de quelle somme est grevée annuellement une action ou une obligation. En effet, le revenu aurait été déclaré en bloc pour un total formé avec des élémens fort divers, avec les intérêts de créances sur particuliers et les coupons de rentes ou obligations de l’état, des villes et des compagnies. Comment en ce cas déterminer la part pour laquelle chaque titre entre dans le total de la taxe? Entre l’impôt sur le revenu mobilier et l’impôt sur les valeurs mobilières, il y a plus qu’une nuance, il y a une différence profonde qui se mesure par les effets.

Si donc jamais l’impôt sur le revenu entre dans notre législation, il faudra ou qu’on remplace les contributions directes actuellement existantes par un impôt général sur le revenu, ou que la taxe nouvelle soit limitée au revenu des capitaux mobiliers. Autrement on tirerait deux ou trois moulures du même sac. Même ainsi restreinte, l’innovation donnerait encore prise à la plupart des objections qu’on élève contre l’impôt général du revenu et spécialement à celles qui touchent aux difficultés de l’assiette.

L’obstacle principal à l’impôt sur le revenu tient aux facilités qu’auront les contribuables pour dissimuler une partie de leurs richesses. Jusqu’à présent, nos lois n’ont frappé que les revenus ostensibles, et se sont bornées, pour ceux qui se cachent, à les saisir en vertu de présomptions fondées sur des signes apparens. Si on veut atteindre directement le revenu des capitaux mobiliers, il faudra de toute nécessité demander la déclaration des parties intéressées. De deux choses l’une : ou cette déclaration sera contrôlée, ou on l’acceptera sans examen. A défaut de contrôle, la fraude annulera le produit de l’impôt, et si on fait la vérification, les agens du fisc mettront la main sur les affaires les plus secrètes des contribuables. Celui-ci, pour cacher une position gênée, déclarera des revenus qu’il n’a pas. Le contrôlera-t-on pour le réduire? Celui-là fera des déclarations insuffisantes et résistera, ne serait-ce que pour lasser les agens du fisc et arriver en bataillant à consommer sa fraude. Ces difficultés seraient d’autant plus grandes chez nous que nous croyons avoir démontré la nécessité de restreindre l’impôt, sur le revenu aux valeurs mobilières, c’est-à-dire à une matière dont la dissimulation est aisée. En Angleterre, la contribution atteint à la fois les biens apparens et les richesses qu’il est facile de cacher, de sorte que la difficulté ne porte que sur une partie de la matière imposable. D’ailleurs le produit de l’impôt est considérable, et l’efficacité financière en diminue le caractère vexatoire. En France, on ne pourrait imposer, — équitablement du moins, — que la richesse prompte à fuir, et, comme le produit serait relativement faible, les vexations inséparables de cette taxe paraîtraient